Soir d’automne
Extraits
LE
POÈTE
Voilà qu’au firmament une étoile s’allume ;
Le ciel dévoile aux yeux toute sa profondeur.
Sur les côteaux lointains la forêt vierge fume ;
À leur pied se replie un lourd voile de brume,
Au-dessus tremble encore une faible rougeur.
Comme un navire en proie au feu qui le dévore,
Le soleil dans la nue enfonçant par degré
Et projetant au loin ses lueurs, a sombré.
Et la nuit qui surgit du côté de l’aurore,
Ainsi que des débris sur le flot empourpré,
Efface les reflets qui surnagent encore.
J’aime ces soirs d’automne et leur pâle beauté.
Le ciel revêt alors une teinte plus grave ;
Et lorsque les rayons, comme une ardente lave,
Ont glissé des versants inondés de clarté,
La nuit calme soudain les vents et les tempêtes
Et le firmament bleu s’arrondit sur nos têtes,
Splendide, empreint de calme et de sérénité !
J’appelle alors la vieillesse sereine
Dont ces beaux soirs sont un tableau vivant,
Cet âge heureux où la tempête humaine
Ne m’emportera plus dans sa course incertaine,
Où se forme le lac des ondes du torrent.
Je sens que l’âme est plus légère
Devant cette nature où rien n’est tourmenté ;
Et les étoiles d’or gravitant dans leur sphère,
Me semblent doucement s’approcher de la terre
Et sourire à l’humanité.
En été, le couchant a trop d’ardente flamme,
Les bois trop de parfums, de murmures confus ;
Les espaces profonds ravissent trop notre âme,
Et la terre est trop belle à nos regards émus...
Pourquoi me semble-t-il que toute la nature
Cette nuit parle par ma voix ?
Qui chante ces accords sur mon luth qui murmure
Sans que ses cordes d’or frémissent sous mes doigts ?
Est-ce toi qui m’appelles ?
Ma Muse, est-ce bien toi ?
J’ai cru voir l’ombre de tes ailes
Palpiter près de moi...
LA
MUSE
C’est moi qui suis venue à cette heure bénie
Où sur tous les buissons ton âme rajeunie
Comme l’oiseau se pose pour chanter ;
Car la Muse aime aussi la vie et la jeunesse,
L’enthousiasme saint, les élans et l’ivresse,
Tout ce qui ravit l’âme et l’aide à remonter.
Je relève aussitôt l’homme faible qui tombe ;
Je verse à flots pressés dans son coeur qui succombe
Comme un baume divin, la consolation.
On m’appelait la Muse avant de me connaître ;
Tu n’as qu’à m’appeler pour me voir apparaître ;
Je suis la Grâce et l’Inspiration !
Tu t’enivres un jour du vin de la jeunesse ;
Demain fondra sur toi la stérile tristesse
Étouffant de son poids les élans généreux.
Ton inutile ardeur ne poursuit que des ombres,
Et tes espoirs déçus couvrent de leurs décombres
L’objet vrai de tes voeux.
* *
*
À ta vie, à ton nom, ne mens plus ô Poète
;
Surtout ne mens plus à ton coeur.
Encore ce matin, brisé, le front rêveur,
Tu marchais dans les bois et ta voix inquiète
Appelait en tremblant la voix qui la répète
Et lui répond toujours avec tant de douceur.
Insensé! cette voix c’est l’écho, c’est ton rêve
Qui s’émeut et qui pleure en ton coeur endormi
Et tu crois que le chant qu’il commence s’achève
Sur les lèvres d’un ami.
Et depuis quel long temps te penchant près de l’onde,
Et n’y voyant que toi, ne penses-tu pas voir
Dans le cristal menteur quelqu’un qui te réponde
Et s’approche du bord quand tu t’y viens asseoir.
Hélas! ce n’est qu’une ombre, en ton ivresse amère,
Que tu vois souriant dans ce miroir profond ;
Qui tend ses bras tremblants à ton ombre éphémère,
Et dont le front brûlant s’approche de ton front.
Partout, toujours, en toute chose,
Tu penses voir un abri pour ton coeur ;
Une fraîche espérance où l’âme se repose,
Où l’homme plus heureux devient aussi meilleur.
Dans un ciel pâle et sans nuage
Où tremble encor l’adieu du jour,
Dans une pauvre fleur sauvage,
Dans un beau cantique d’amour ;
Dans un mot de charité sainte
Tombant des lèvres d’Ariel,
Dans une âme pure où la plainte
Expire en regardant le ciel ;
Dans tout tu vois un reflet de lumière
Échappé des splendeurs des cieux ;
Et tu te dis combien doit être radieux
Cet immortel foyer de la beauté première
Qui projette ces flots de rayons lumineux.
* *
*
Tu recherches la voix des concerts séraphiques
Dans les accents pieux qui naissent de l’autel.
Quand les crépuscules magiques,
Déployant au couchant leurs richesses féeriques,
Comme une autre face du ciel,
Font surgir à tes yeux des fontaines d’eau vive,
Des fleuves dans leur lit roulant des diamants,
Des rochers de saphirs, des îles dont la rive
Découpe en traits de feu les flots étincelants ;
Tu sens se réveiller et s’émouvoir ton âme ;
Tu trembles et comprends que tu n’es qu’un banni,
Et tu voudrais sur des ailes de flamme
Traverser en vainqueur ces champs de l’infini.
Poëte, il faut donner l’essor à la prière,
Remonter en chantant vers la source première
Où l’astre souverain rajeunit sa beauté ;
Il faut planer et boire à des flots d’harmonie,
Et courir librement sur l’aile du génie
Dans les champs de l’espace et de l’éternité.
.................
Mais sache-le, Poète, on m’appelle la Grâce ;
Je sais toucher les coeurs et ne les force pas.
À la porte parfois je frappe, et puis je passe,
Et trop souvent le vent efface...
Jusqu’au vestige de mes pas.
Quelquefois, cependant, avec sollicitude
Je veille auprès du poète rêveur ;
Je le suis dans la solitude
Où je parle mieux à son coeur.
Quand je le vois fléchir sous un poids qui l’écrase,
Qu’un désir infini revient le tourmenter,
Qu’il sent courir en lui comme un feu qui l’embrase,
Préludant de ma voix je lui dis de chanter.
La musique toujours pacifie et console,
Elle repose l’âme et l’émeut à la fois ;
Sur son aile souvent la tristesse s’envole,
Et l’on croit au bonheur en entendant sa voix.
Mais un jour près de lui le Maître me rappelle.
M’approchant du poète et sur lui m’inclinant,
Je revêts d’un rayon de la gloire immortelle
Son front tantôt pâli qui brûle maintenant ;
Et la pauvre muse infidèle,
À la brise d’en haut déployant sa grande aile,
Laisse son poète en pleurant.
* *
*
Tu ne veux pas chanter l’éternelle nature
Parce qu’une clameur couvre sa faible voix ?
Tu ne veux pas mêler ton triste et doux murmure
Au refrain des lacs bleus, à l’écho des grands bois
?
Tu ne veux admirer qu’une image cachée
Au dernier repli de ton coeur,
Presser sur ta poitrine une feuille arrachée
Qu’à ta porte une nuit conduisit le malheur ?
Et parce que ton coeur a soif de sacrifice,
Tu veux toujours puiser dans cet amer calice
Des espoirs immolés ?
Boire en secret les larmes solitaires,
Et remuer les dépouilles trop chères
Des rêves envolés ?
Dédaignant l’univers, auguste sanctuaire
Où Dieu t’avait mis pour prier ;
Riant de l’autel où, victime volontaire,
Tu devrais te sacrifier ;
Raillant les murs croulants du temple séculaire
Dont tu devrais être un pilier,
Tu ris de la ruine et ton âme sommeille ;
Et sans voir la plaine vermeille
Où le Seigneur va se lever,
A tout propos d’espoir tu détournes l’oreille :
Tu veux dormir, tu veux rêver.
* *
*
J’ai dit quel est mon nom : je m’appelle la Grâce.
Je console un moment, puis je remonte à Dieu.
Et cependant la tempête s’amasse
Là-bas à l’horizon en feu !
Et cependant il faut que l’épreuve se fasse,
Il faut que la douleur et te noue et t’enlace,
Il faudra tôt ou tard que ton aigle t’embrasse,
Et je serai loin dans un autre lieu.
Si tu t’éveilles à cette heure
De ton rêve de volupté,
Où ton ange qui souffre et pleure
Dans son ciel sera remonté,
Dis-moi, qui soutiendra ton âme ?
Qui saura t’abreuver d’espoir ?
Qui versera l’huile à la flamme ?
Qui lavera les taches du miroir ?
Qui te rendra ta lyre d’harmonie
Qui se sera brisée en chantant les faux dieux ?
Qui baisera ton front aux heures d’insomnie,
Et quelle autre pourra donner à ton génie
Et l’éclat de la foudre et la splendeur des cieux ?
Qu’importe si le vent souffle quand ta main sème,
Et disperse le grain dans l’air ?
Qu’importe si l’angoisse a fait sur ton front blême
Peser sa lourde main de fer ?
Qu’importe si parfois tu pleures sur la vie,
Si ton coeur manque d’air dans sa froide prison ?
Si ton nom est en butte à la haine et l’envie,
Si l’arbre a passé floraison ?
Les larmes sont la divine rosée
Qui rend jeune et fécond l’immobile désert.
Le parfum se répand d’une plante brisée.
Sous le flot en fureur la perle est déposée :
Pour venir au repos il faut avoir souffert.
Il faut avoir tendu, pâle, ses mains tremblantes
En appelant tout bas le rêve tant aimé,
Il faut avoir baigné dans des larmes brûlantes
Son coeur qui rajeunit plus tendre et parfumé ;
Il faut avoir subi des angoisses sans nombre,
S’être senti broyé sous la main du malheur ;
Comme il faut au couchant la nue épaisse et sombre
Que le soleil colore et revêt de splendeur.
Tiens-toi toujours tourné du côté de l’aurore
:
C’est de là que nous vient l’espérance, et l’amour.
Vois-tu comme déjà l’horizon se colore ?
Il n’est si longue nuit que ne suive le jour.
Il n’est si dure peine ici-bas qu’on ne puisse
S’en dépouiller un jour ainsi que d’un manteau.
Pour l’homme la douleur est un sillon propice ;
La mort continuera l’oeuvre germinatrice,
Et tu verras plus tard fleurir le sacrifice
De l’autre côté du tombeau.
Et riche de tes pleurs, plus fort de ta souffrance,
Pour le dernier sommeil tu pourras t’endormir ;
Tu fermeras les yeux pour mieux voir l’espérance,
Et cesser de mourir.
* *
*
Toute chose a son terme ;
Tout meurt, mais non pas sans retour.
Et la fleur qui tombe, renferme
La graine qui se brise et germe
Pour refleurir un jour.
Tout se courbe et se penche,
Mais pour se relever.
Un souffle redresse la branche ;
Un jour ton âme libre et blanche
Elle aussi pourra s’envoler.
James-Émile PRENDERGAST.
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