L’envolée
Dans l’or clair du soleil et dans l’argent des brumes,
Sur le mystère et le silence suspendus,
Par l’aurore bercés, par l’ombre défendus,
Les oiselets, blottis dans la tiédeur des plumes,
Voyaient déjà flotter autour des frondaisons
L’âme chantante des saisons,
Les envolements des clairières ;
Et, buvant aux rayons qui fermaient leurs paupières,
Ils savouraient déjà la volupté
D’être un rythme vivant au-dessus de l’été,
Un appel de l’immensité,
Un cri de la ferveur première,
Et de mêler leur voix, leur haleine et leurs yeux
À tous les vols harmonieux
Extasiés dans la lumière.
Nés d’un ravissement dans le champ des essors,
Riches d’un lit de mousse où leurs candeurs s’épanchent,
Ils s’enivraient d’air pur, de parfums et d’accords
Dans la solitude des branches ;
Et, par le soir paisible et par l’ardent matin,
Balançant leur rêve au chêne hautain,
Leur gazouillis à la feuillée,
Dans la ferveur de leur destin
Et dans l’attente émerveillée
De l’heure où jaillirait l’élan,
Où l’hymne fuserait que leur âme recèle,
Frêles et dérobés sur leur rameau tremblant,
Ils sentaient s’élargir et saigner à leur flanc
La palpitation des ailes !
Et les voilà qui vont fuir ton calme et ton sol,
Grand arbre fraternel, berceur de chansons brèves,
Ancêtre qui nourrit de l’éclat de tes sèves,
Comme un fruit palpitant, la promesse d’un vol.
Les voilà qui s’éveillent et s’agitent et s’enchantent,
Qui dressent leurs émois sur le bord de leur nid,
Déployant et mêlant leurs ailes frémissantes
Et lourdes déjà d’infini.
La mère, haletant, sur leur trouble voltige :
« Attendez, attendez, ne livrez pas encor
Aux caprices des vents, aux pièges du vertige,
Votre hâte et votre transport.
Le geste est vain de s’élancer dans un ciel vide
Et d’offrir, sans beauté, sa jeunesse à la mort.
Mais il est plus d’un but pour le vol intrépide,
Et c’est le but qui fait la gloire de l’essor !
Puisque vous renoncez aux grâces coutumières
Du bocage, où chantent les fleurs et l’arbrisseau,
Au rire odorant des bruyères,
Aux coupes fraîches du ruisseau ;
Puisque vous préférez à la douceur des lignes,
À la paix de la terre, à la brise des prés,
Aux trésors prodigués des vergers et des vignes,
Aux gîtes accueillants comme aux grains assurés,
L’angoisse de la voûte immense où rien ne passe
Qui ne soit éternellement,
Et la volonté d’être un frisson dans l’espace,
Une âme dans le firmament,
L’orgueil d’être la voile offerte à la tempête,
Qui chante et fait chanter le ciel en naviguant,
De heurter au soleil l’audace de vos têtes
Et de frôler de l’aile l’ouragan ;
L’ivresse de monter, tout droit, à votre guise ;
De tracer dans l’azur vos sillons comme un soc
Et d’exalter vos chants, avec cette hantise
D’être un jour la lyre qui brise
Son dernier accent sur le roc...
Alors, fixez vos yeux où l’Orient se dore,
Où la clarté déjà verse son flot vermeil.
Allez, ne craignez point les flèches de l’aurore,
Portez vos cris dans le soleil !
Car maudite soit l’aile attachée à la terre,
Prisonnière de l’ombre et promise au réseau :
C’est dans l’intensité de la libre lumière
Que doit s’épanouir l’oiseau ! »
C’est dans le vaste espoir et vers le plus beau rêve,
En l’orgueil de l’effort enthousiaste et prompt,
À l’heure créatrice où la semence lève
Des jeunes idéals qui, demain, fleuriront,
Que l’enfant doit porter l’aile qui le soulève,
Dresser son ardeur et son front.
Car, si la vanité sourit aux multitudes,
Si la fortune aspire à l’abri du clocher,
Il n’est de grandeur qu’en les altitudes
Où l’aile a touché !
Aimez et louez l’homme de Virgile
Dont la silhouette humble se profile
Au seuil fastueux des plaines en fleurs.
Mêlez votre silence à la clameur des villes,
Bercez d’un bras puissant les terrestres douleurs ;
Mais arrachant votre âme aux étreintes débiles,
Montez, donnez de l’aile, enfants, vers les hauteurs !
Survolez l’horizon où les yeux se confondent,
Du ciel dans le regard, du vent dans les cheveux ;
Et face à ceux qui plient, et face à ceux qui frondent,
Sachez dire : « Je veux !
Je veux être la voix qui séduit et qui fonde,
Je veux être un envolement du cœur humain
Et brûler au soleil la vigueur de ma main
Et jeter un rayon sur la plainte du monde. »
Le ciel est merveilleux où tout ascend,
Car, si la nuit y point et si l’orage y gronde,
Le souffle qui nous porte est si puissant
Et notre soif est si profonde
Que l’air et la lumière affluent dans notre sang,
Et qu’on sent,
Parmi l’hosanna plantant dans les nues,
Son corps tendre à l’éternité
Toutes ses fibres éperdues,
Et l’essor de son âme emplir l’immensité
Comme deux ailes étendues !
Ernest PRÉVOST, L’Hosanna des Quatre Saisons.
Recueilli dans Poètes de la famille au XXe siècle, Casterman.