Les sourciers
Portant vers l’aube et le mystère
La baguette de coudrier,
Vous scrutez l’âme de la terre,
Ô chercheurs de sources, sourciers.
Vous voyez dans la nuit profonde
Et votre main, d’un geste sûr,
Délivre la clarté de l’onde
Prisonnière du sol obscur.
C’est le miracle, et j’imagine
Que votre regard caressait
L’ombre harmonieuse où l’ondine
Depuis toujours vous attendait,
Et bien avant que nous surprenne
Le jaillissement merveilleux,
La limpidité des fontaines
Se mirait déjà dans vos yeux...
Il est ainsi des scruteurs d’âme
Aux regards subtils et discrets
Pour qui l’émoi d’un cœur de femme
N’a ni surprises ni secrets,
Qui voient clair dans l’ombre pensive
Où tremble le désir d’aimer
Et font surgir comme une eau vive
L’élan des rêves enfermés.
Mais ces doux rêves qu’ils pénètrent,
Qui n’ont rien pour eux d’étranger,
Ces rêves d’amour qu’ils font naître ;
Ils ne peuvent les partager.
Épris d’intimes allégresses
Et de délicates ferveurs,
C’est la grâce et c’est la tendresse
Qu’ils vont chercher au fond des cœurs.
Mais quand la grâce sous leur charme
Se révèle et monte vers eux,
L’angoisse fait monter ses larmes
Dans le sourire de leurs yeux ;
Car leurs yeux adorent la grâce
Et leur cœur aime intensément,
Pour tout le divin qu’il embrasse,
L’amour pieux, l’amour puissant,
L’idéal que leur foi délivre,
L’élan qu’ils voudraient accueillir...
Mais il ne faut pas qu’ils se livrent
Aux sources qu’ils ont fait jaillir ;
Il ne faut pas que s’attendrisse
Ou saigne en un cruel tourment,
Dans sa gloire initiatrice,
Leur âme de frère et d’amant ;
Il ne faut pas que leur jeunesse
Vibrant d’émois inapaisés
S’abreuve aux sources des caresses,
À l’onde vive des baisers...
Il faut que leurs soins éternisent
Le rêve des amours humains,
Et pour que jamais ne se brise
La chaîne des cœurs et des mains,
Il faut qu’une loi triomphale
Les voulant chastes et altiers
Leur fasse une âme de vestale...
Il faut qu’ils restent les sourciers,
Les douloureux et les apôtres,
Prêtres du culte essentiel,
Qui gardent l’amour pour les autres
Et beaux, et seuls, et rituels,
Arrachent aux jours de détresse
Et d’ombre où nous les attendons,
Le jaillissement des tendresses
Et l’infini des abandons.
Ernest PRÉVOST, Poèmes de tendresse.