Tu peux souffrir
Tu peux souffrir, pleurer... Ne maudis pas ! retiens
Sur tes lèvres encor frémissantes des siennes
Le blasphème qui sourd et jaillit de ta peine.
Retourne-toi vers ce qui fut, et te souviens !
Ce qui fut ? ce fut l’heure adorante et bénie
Où consentit le Ciel à ce miracle humain
D’une âme qui se donne aux fièvres de deux mains,
De deux corps s’enlaçant et s’aimant, comme on prie.
Pour ravir un automne et combler un destin
Peut-être Dieu ne fait qu’un instant à sa taille.
Peut-être aussi veut-il que cet instant défaille,
Plutôt qu’au soir, dans la lumière du matin,
Et qu’étant d’idéale et d’immortelle essence,
De délices empreint et d’extase noyé,
Cet instant sans retour soit d’une angoisse immense
Et du déchirement de tout l’être, payé...
Petit-être ! Mais qu’importe ? As-tu la certitude
D’avoir eu dans tes bras le printemps svelte et clair,
D’avoir été l’amant qui, dans la plénitude,
Vécut sa foi par tous les frissons de sa chair ?
De la vierge en ton rêve et ton étreinte enclose
As-tu fleuri l’ivresse, illuminé l’essor ?
Et sens-tu dans ton âme, et sens-tu dans ton corps
Le feu de ses rayons et le sang de ses roses ?
Tu savais que les cœurs bienheureux gémiront
Qui, plus haut que leur joie, ont porté leur tendresse.
Tu ne dois pas que ta douleur à sa jeunesse !
Pourquoi courber sous l’ombre et la cendre ton front ?
Tu souffres... C’est l’amère et sublime détresse,
Le nimbe et le tribut des saintes passions.
Mais souviens-toi du paradis de ses caresses !
Ta souffrance est la sœur de ton ascension.
Tu souffres ?... c’est le sort de toute âme qui monte,
À l’éclair qui l’emporte un vol peut succomber ;
Mais l’ouragan est doux aux amants qui l’affrontent :
Il faut avoir atteint le Ciel, pour en tomber !
Ernest PRÉVOST, La douceur infinie, 1944.
Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.