Doute et foi
À cet âge orgueilleux où l’enfant devient homme,
Brisé comme l’oiseau qui délaissa son nid,
Seul, au pied d’un rocher que le siècle consomme,
Un jeune voyageur las et triste s’assit.
Pris de ce mal du temps que personne ne nomme,
Il soupira, puis dit :
I.
« Au livre de la vie où donc est mon histoire,
» Et mes vœux n’auront-ils jamais que trahison ?
» Le mystère est partout, ma destinée est noire...
» Je crie, et tout se tait comme en une prison !
» L’avenir est muet quand je voudrais y croire
» Et n’a point d’horizon...
II.
» Mon oreille jamais n’entend que du mensonge.
» Vainement sur le sol de mon pied j’ai frappé,
» Et vainement mon œil dans le vide se plonge :
» J’espérais tout savoir, mais je m’étais trompé !
» Et mon espoir, hélas ! n’était qu’un pauvre songe
» Au réveil dissipé...
III.
» Que de fois au hasard errant dans les campagnes
» J’ai cherché mon étoile au milieu de la nuit !
» Mon âme a cru trouver des sœurs et des compagnes
» Dans ces âmes de feu dont le firmament luit...
» ... Mais l’étoile qu’elle aime au-delà des montagnes
» Bientôt se cache et fuit.
IV.
» Mon cœur croit la nature et se fie au présage.
» Quand sur l’azur du ciel s’étend un voile noir,
» Et quand la foudre au loin nous annonce l’orage,
» Mon destin m’apparaît dans un sombre miroir,
» Et je l’entends gémir, reflétant son image,
» Ainsi qu’un vent du soir.
V.
» Quand je vois une mère, à la peine flétrie,
» Sangloter, défaillir en suivant un cercueil,
» Froid et dernier asile où sa fille est meurtrie,
» Sa fille, pure enfant, sa joie et son orgueil...
» Je ne sais si je vois le tableau de ma vie
» Dans ce tableau de deuil.
VI.
» Puis, quand la jeune femme en sa riche parure
» Devant mes yeux ravis passe aux accords d’un bal ;
» Quand je sens sur mon front voler sa chevelure
» Rayonnant sous l’éclat des lustres de cristal...
» ... Je ne sais quelle voix me prédit et m’assure
» Le plaisir loin du mal.
VII.
» Et si parfois mon cœur s’émeut à quelque rêve
» De gloire, de triomphe et d’immortalité,
» Je crois qu’un nouvel astre à mes regards se lève,
» Je m’enivre déjà de ma prospérité !
» Et puis revient le doute accourant faire trêve
» À ma félicité.
VIII.
» Mon âme de ce doute et se lasse et s’étonne :
» Aux heures de regret, aux heures de désir,
» Je vais frapper sur tout sans que rien ne résonne.
» Rien n’a duré longtemps, ni peine, ni plaisir ;
» Et pour moi dans ce monde où l’ombre m’environne
» Tout n’est qu’un souvenir.
IX.
» Un souvenir !... ce mot ranime ma constance.
» Dans les jours de tristesse, elle m’en fit l’aveu,
» Ma mère allait prier, dans mon heureuse enfance :
» Au retour ses regards brillaient d’un nouveau feu.
» ... Comme elle je pourrai retrouver l’espérance
» En allant prier Dieu. »
X.
Le jeune voyageur, relevant son front pâle,
Quitta moins affaissé son siège de granit :
Une larme à ses yeux, desséchés par le hâle,
Vint au nom de sa mère : heureux, il la bénit !
Le doute avait brisé cette nature mâle,
La foi la raffermit.
Charles PROTH.
Paru dans L’Austrasie en 1853.