Le premier papillon
Le vent plus tiède entrait par la fenêtre ouverte,
Le rossignol pleurait, sous la ramure verte,
Ses sanglots de cristal, qui tombent sur les cœurs,
Les pauvres cœurs meurtris, en gouttes de douleur ;
Car notre âme est pareille, immortelle captive,
À ces luths, suspendus aux saules de la rive
Par les tristes Hébreux, de Sion exilés :
Dès qu’on y touche, alors ses accents exhalés,
Tels ceux des luths vibrants que la brise balance,
D’où que vienne le heurt, sont des cris de souffrance.
Donc, les fleurs embaumaient ; la sève, aux rameaux verts,
Montait dans l’ombre douce, et les bruyants concerts
Des rainettes, déjà si chères à Virgile,
S’élevaient des roseaux, là-bas, sur l’eau tranquille.
Avec le gai frisson de la jeune saison,
Tonte la paix du soir entrait dans la maison,
Et mes rêves émus s’envolaient en prière.
Sous la lampe baissée à la blanche lumière,
J’avais abandonné mon travail commencé,
Près du livre entr’ouvert, près du livre laissé
Où le signet d’ivoire avait marqué la feuille.
C’est qu’il est des instants où l’âme se recueille,
Où même un livre cher et savant ne vaut pas
Les mots consolateurs que murmure tout bas,
Dans l’intime douceur de la nuit approchante,
La nature qui pense, alentour, et qui chante,
Et qui, telle une mère apaisant doucement
Le tout petit qui pleure et gémit en dormant,
Sait le geste sauveur et les paroles sûres
Pour panser et guérir les secrètes blessures,
Les chagrins innomés, tourment vague et profond,
Dont nous ne savons rien, sauf le mal qu’ils nous font ;
La nature, en qui Dieu, pour consoler les hommes,
A mis le pur dictame, a mis les divins baumes
Qui, sur les cœurs lassés de lumière et de bruit,
Comme tous les parfums, s’épanchent dans la nuit.
J’avais le front baissé sous ma lampe voilée,
Quand je sentis ma main tout doucement frôlée
Du contact, on eût dit, d’un pétale de fleur.
Attiré du dehors par la faible lueur,
Un joli papillon gris clair, l’aile irisée,
Venait en étourdi d’entrer par la croisée,
Et, dansant tout en rond, sous le mince abat-jour,
Effleurait doucement la flamme, à chaque tour.
L’aspect de sa gaîté, sa légère caresse,
Chassèrent brusquement cette vague tristesse
Qui nous étreint à l’heure où vient l’obscurité,
Car c’était le premier papillon de l’été ;
Larve hier, et brillant dans sa métamorphose,
Il m’apportait l’adieu de la saison morose ;
Éclos avec les fleurs, chatoyant et vermeil,
Son vol – dans la nuit même – annonçait le soleil,
La vie autour de nous gaîment recommencée.
Je le remerciai tout bas, dans ma pensée,
Joyeuse, tant notre être, ondoyant et divers,
Aime tous les printemps, chassant tous les hivers,
Après les épis d’or, le froment dans la grange,
Tout ce qui vit, tout ce qui court, tout ce qui change,
La fleur qui se flétrit sitôt que notre main
L’a cueillie, et ce mot d’espoir : demain, demain !
L’avenir, qui toujours nous tente et nous appelle...
Nous hâterions-nous tant, si notre âme immortelle,
Sous le voile épaissi, qu’elle va soulevant,
N’entrevoyait le but qui l’attire en avant,
Et ne savait enfin que la route suivie,
Même à travers la mort, nous conduit à la vie ?...
Berthe de PUYBUSQUE, L’Angélus sur les Champs.
Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie
des poètes français contemporains, 1923.