La comédie de la mort
À Stéphane Mallarmé.
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Le Jardin, le grand Jardin se boursoufle de tertres
Où poussent des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes !
Comme si l'on craignait que les âmes se perdent,
On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes :
Et dans l’ombre du soir, les parents s’en vont tout blêmes,
Parce qu’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaines,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes :
« Que venez-vous ici ? ridicules trouble-fêtes ;
Allez, ce grand calme est très bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.
« Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles ;
Nous disons nos « Ave » sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles ! »
I
La Grande Mort est venue ;
Elle a pris l'âme toute nue.
Le corps est resté dans la chambre :
Il fait un froid de Décembre.
Certains ont dit : « Il fallait
Que cette pauvre âme s’en aille ! »
Ô Maître, d'un coup de balais
Chassez cette valetaille.
L'un pense au Dieu tutélaire
Qui se révèle dans l’hostie :
C’est le prêtre au lourd bréviaire
Et des relents de sacristie.
La peureuse a fui l’idée
De cette mort vague qui plane :
Quand vous serez vieille et ridée,
Des vers boiront votre crâne.
Et je cherche la césure
Des vers que j’écris pour la Morte,
Parce que j’ai souffert d’une incroyable blessure
En voyant la Grand’Mort qui poussait d’un doigt la porte,
Et chantait, de sa voix si lente et si magnanime
Qui tremble un peu, ce chant d'adieu bien triste, qui rime :
« Voilà ! ton règne est passé,
Ton sablier est cassé,
Ton corps est déjà glacé ;
Requiescat in pace. »
II
L'AMANT
L’odeur
de ses cheveux, vagabonde,
A fleuré dans mon coeur pendant toute une nuit,
Une
nuit où le rêve qui s’enfuit
Cherche dans l’ombre tiède rifle voix qui réponde.
La
fleur des yeux où Dieu se reflète,
A fleuri dans mon coeur pendant toute une nuit,
Et
ce coeur redemandait le bruit
Du baiser que mendie une bouche inquiète.
La
tiédeur de sa gorge veinée
A flambé dans mon coeur pendant toute une nuit,
Et
je croyais voir le soleil qui luit,
Inonder de printemps une neige fanée.
*
* *
Je mettrai ses petits souliers
Familiers,
Comme autrefois au pied du lit
Où, dans les dentelles, pâlit
Ô souvenir des jours d'Espoir
Le petit bonnet blanc à ruche, du Soir !
III
LES
INNOCENTS
Ils sont gentils, les Enfants de choeur,
Ils ont des cheveux bouclés qui frisent,
Des gaîtés dans leurs prunelles grises,
Et des baisers sur leur bouche en coeur.
Avec leur cierge a la flamme pâle
Qui frissonne au vent de l’encensoir,
Ils s'amusent ainsi, sans savoir,
Et font des points blancs sur une dalle.
Ils se répètent un joyeux nom
Avec de petits éclats de rire,
Lançant des gouttelettes de cire
Et ron ron ron, petit patapon !
*
* *
Quand la Grand'Messe sera finie,
Et chanté le long « Pie Jesu »,
Jetant leur vieux surplis décousu
Et l’ennui de la cérémonie,
Ils s’en iront jouer « au voleur »
À côté du vague cimetière,
Où les Défunts disent leur prière
Parmi la grande aubépine en fleur.
Mais à présent, hélas ! on s’ennuie :
Il faut rester debout trop longtemps.
Écouter des sanglots, et des chants
En latin, tristes comme la pluie.
*
* *
Et puis, c'est ce grand catafalque
Avec mille cierges vacillants
Qui font de tout petits points brillants.
Les yeux fixés sur le tabernacle,
Ils ont un rire très ingénu ;
Ils ne savent pas pourquoi c’est triste
Car ils n'ont jamais lu le Psalmiste
Qui dit que nul n’en est revenu
De cette Grand’Mort accapareuse.
Et quand l’enfant de choeur aux doux yeux
Où se reflète un morceau des Cieux,
Retourne sa figure si joyeuse,
Il voit les Endeuillés, et tous Ceux
Qui pleurent sur cette tombe fraîche…
Alors mon doux Jésus de la Crèche
Il lui vient deux larmes dans les yeux !
IV
LES
INDIFFÉRENTS
Elle avait des palais aux blanches colonnades,
Où les rares satins s’écrasaient en torsades,
Parmi les ors, parmi les fleurs, parmi l'encens ;
Elle avait des laquais plus sûrs que les esclaves
Qui dans les temps Romains ourlaient des laticlaves
Assis dans l’Atrium près des rares puissants ;
Elle avait des lingots plus pesants que sa tête,
Des plats d’argent que l’on sortait, les jours de fête,
Du grand bahut de chêne aux contours ciselés ;
Elle avait un parc où des sources incertaines
Coulaient en fins ruisseaux, jaillissaient en fontaines,
Sous l’ombre des saules pleureurs échevelés ;
Maintenant, son jardin sera le Cimetière
Où l’on dort, où l’on est bien tranquille ma chère !
Maurice QUILLOT.
Paru dans La Conque,
Anthologie des plus jeunes poèes,
1891-1892.
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