Plaintes d’un chrétien
sur les contrariétés
qu’il éprouve
au-dedans de lui-même
Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L’un veut que, plein d’amour pour toi,
Mon cœur te soit toujours fidèle ;
L’autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi.
L’un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu’au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste ;
Et l’autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.
Hélas ! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?
Je veux, et n’accomplis jamais.
Je veux ; mais (ô misère extrême !)
Je ne fais pas le bien que j’aime,
Et je fais le mal que je hais.
Ô grâce, ô rayon salutaire !
Viens me mettre avec moi d’accord.
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui t’est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.
Pour trouver un bien fragile
Qui nous vient d’être arraché,
Par quel chemin difficile,
Hélas ! nous avons marché !
Dans une route insensée
Notre âme en vain s’est lassée,
Sans se reposer jamais,
Fermant l’œil à la lumière
Qui nous montrait la carrière
De la bienheureuse paix.
De nos attentats injustes
Quel fruit nous est-il resté ?
Où sont les titres augustes
Dont notre orgueil s’est flatté ?
Sans amis et sans défense,
Au trône de la vengeance
Appelés en jugement,
Faibles et tristes victimes,
Nous y venons de nos crimes
Accompagnés seulement.
Ainsi d’une voix plaintive,
Exprimera ses remords
La pénitence tardive
Des inconsolables morts.
Ce qui faisait leurs délices ;
Seigneur, fera leurs supplices ;
Et, par une égale loi,
Tes saints trouveront des charmes
Dans le souvenir des larmes
Qu’ils versent ici pour toi.
Jean RACINE, Cantiques spirituels.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.