<> <> <> <> <> Elles mouraient ainsi...

SONNETS

 

Sur la mort de quatre fondatrices
de communautés à Montréal.

 

                                    I

Je suis vieille, Seigneur, et je n’ai plus d’emploi
dans la jeune cité vouée à Notre-Dame.
Inutile est ma vie où persiste la flamme
en attendant le jour fixé par votre loi.

Or, voici mon couvent, ce matin, plein d’émoi,
au chevet d’une sœur que le trépas réclame...
Seigneur, laisserez-vous disparaître une femme
qui peut servir encore et beaucoup mieux que moi ?

Prenez, prenez-moi donc au lieu de sœur Saint-Ange !
Eh ! n’ai-je pas le droit jusqu’ici respecté,
de passer la première en ma communauté ?...
Ma requête, à coup sûr, n’exige rien d’étrange.

Force fut au Seigneur de refaire son choix.
C’est ainsi que mourut Marguerite Bourgeois.


                                    II

L’eau que l’on a versée au gueux qui sen abreuve
désaltère Dieu même, ainsi qu’il est écrit.
D’un abondant amour donnant la simple preuve,
cette femme hébergeait chez soi les sans-abri.

Cinquante ans sont passés depuis que, jeune veuve,
elle a donné sa vie au pauvre Jésus-Christ.
Ce soir est le dernier de sa terrestre épreuve :
Marguerite Dufrost vient de rendre l’esprit.

Dans le cercle à genoux des sœurs en robe grise,
plus d’une sent l’angoisse en son âme grandir,
ignorant qu’au dehors des gens, avec surprise,
ont vu, distincte et blanche, une croix resplendir !

La croix brillait sur elle et veillait sur la ville...
C’est ainsi que mourut Madame d’Youville.


                                    III

Dans sa trente-huitième et sa dernière année,
comme elle doit quitter son couvent de Longueuil,
elle veut s’embellir pour le céleste accueil
et parfumer encore une rose fanée.

L’obstacle à sa couronne est un relent d’orgueil...
Mais, à l’anéantir saintement obstinée,
elle écrit pour ses sœurs la page destinée
à tarir tout éloge autour de son cercueil.

Sa lettre fut ouverte avant le Viatique...
C’était de ses péchés le récit pénitent,
une confession solennelle et publique,
et que sœur Véronique a lue, en sanglotant...

Jésus !... Tant de grandeur dans la plus simple chose !
C’est ainsi que mourut la Mère Marie-Rose.


                                    IV

Pour rassembler les sœurs en pleurs la cloche tinte.
Leur Mère, ayant reçu les derniers sacrements,
agonise, d’un mal inexorable atteinte...
Et Monseigneur l’assiste en ces graves moments.

D’une moite pâleur sa figure se teinte.
Cependant, à travers des hoquets étouffants,
l’évêque entend, penché, ce que sa lèvre éteinte
murmure, et le redit à haute voix : « Enfants,

gardez le testament qu’à son heure mortelle
ce cœur vous laisse : humilité, simplicité
et charité » – Déjà, l’huis de l’éternité
s’ouvrait pour l’accueillir. « Surtout, chari... » dit-elle.

Mais, le ciel prit le mot dont son être était plein !
C’est ainsi que mourut Madame Gamelin.

 

 

Lucien RAINIER, Avec ma vie,
Montréal, Éditions du Devoir, 1931.

 

 

 

 

 

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