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Jeanne Mance
DEVANT LE MONUMENT
Donc, tu revis dans le métal et te voici
telle qu’au temps passé te virent ces lieux-ci,
revêtue humblement de bure et de clémence,
et sur le moribond penchée, ô Jeanne Mance !
Au matin tourmenté du peuple canadien,
tu parais, vierge austère et forte, ange gardien
sur le seuil de l’Histoire, et c’est toute une époque
d’héroïque travail que ton image évoque.
Ton âge avait déjà touché son plein été,
Jeanne, quand tu fus prise, aux coteaux de Champagne
– noble terre fertile en vaillance et fierté –
d’un désir d’outre-mer !... Oh ! servir de compagne
à ces hardis colons dont le bel idéal
rêvait d’une cité devant le mont « réal »...
C’est pourquoi tu vins mettre au gré de Maisonneuve
le concours absolu d’un zèle à toute épreuve.
Quand le ciel, par Marie, eut satisfait leur vœu,
dans la ville naissant près du fleuve rapide,
bientôt se construisait un modeste hôtel-Dieu.
Vingt-huit ans, Jeanne Mance, ouvrière splendide,
tu restas son soutien, sa joie et son égide.
Ah ! quand leur mâle effort, à peine triomphant,
guidait les premiers pas de Montréal enfant,
tant de sinistres mois pour quelques jours prospères !
comme ils t’ont regardée avec respect, nos pères !
Autour d’eux, le cruel, le perfide Iroquois,
son casse-tête au poing, ses flèches au carquois,
guettait, l’œil enflammé de haine inassouvie,
sournoisement, obstinément, leur pauvre vie,
leur pauvre et rude vie, en proie au mal brutal.
Avec le trait lancé par l’arc, souvent fatal,
d’autres dangers : le froid, la fatigue, les veilles,
menaçaient ces géants artisans de merveilles.
Malades ou blessés, la salle d’hôpital,
Jeanne, leur révélait ta bonté coutumière...
Jeanne, combien de fois, souriante infirmière,
aux mots tendres de mère et de petite sœur,
bonne samaritaine ainsi, toute en douceur,
sans qu’un émoi jamais ait troublé ta main sûre,
tu dosas le remède et pansas la blessure !
À ceux qui faiblissaient devant l’adversité
tu rappelais le ciel, avec simplicité,
sans penser que plusieurs avaient pris pour étoile
le joli reflet blanc de ta guimpe de toile.
Car plus loin que leur corps, plus loin que le contour
humain de la douleur, tu plongeais ton amour.
Garde-espoir !... Débordant d’une tendresse immense,
ton âme guérissait leur âme, ô Jeanne Mance !
Pas un dégoût, pas un sursaut, pas un retour ;
jusqu’à la fin, tu fus celle du premier jour.
Or, je connais la source et je sais le domaine
où tu venais capter la force surhumaine
comme un or charrié dans le courant sacré ;
du flanc divin troué pour la grande amnistie,
le sang coule toujours, avec l’Eucharistie,
et, dans son flot vivant, ton cœur était ancré.
Dans le Christ tu puisais l’attrait du sacrifice...
Pour te donner sans cesse, ainsi qu’il s’est donné,
tu savais, empressée au plus vulgaire office,
qu’il est dans le malade et dans l’abandonné.
Il avait, pour toujours, asservi ta pensée,
jalousement, le chaste et mystique Amoureux !
Et vers lui tu courais, dans chaque malheureux,
comme vers son promis court une fiancée !
C’est le mot de ta vie en pitié dépensée...
Si deux cent cinquante ans, depuis lors, ont péri,
ton souvenir chez nous n’en est pas amoindri.
Je vois, sous ton costume encore, Jeanne Mance,
dans ce champ des douleurs que la Vie ensemence,
des femmes accourir qui, d’un geste attendri,
recueillent la moisson terrible... Et, chaque année,
par elles, ta statue est de fleurs couronnée.
Moi, je t’ai fait ces vers. Et j’ose, éperdument,
de leur ferveur, fleurir aussi ton monument !
Lucien RAINIER, Avec ma vie,
Montréal, Éditions du Devoir, 1931.
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