La mission des anges

 

 

                                  I

 

LA terre humide encore, et des mains éternelles

          Roulant sur ses muets essieux,

Souriait au soleil dans ses grâces nouvelles,

Comme en sortant des flots le cygne étend, ses ailes

          Et dresse son col gracieux.

 

Les grands fleuves couraient à la mer étonnée

          Qui frémissait dans son bassin,

Par le sable ou le roc partout emprisonnée,

Fougueuse, mais baisant la limite donnée

          Aux débordements de son sein 1.

 

Les astres cheminant à la voûte azurée

          Brillaient à tous les horizons ;

Et déjà du soleil la marche mesurée,

Des jours, des nuits, des ans limitait la durée

          Et réglait le cours des saisons.

 

Le Seigneur appela ses messagers rapides,

          Les anges, qu’il fait à son choix

Dociles serviteurs ou soldats intrépides,

Inflexibles témoins, doux et fidèles guides,

          Gardiens ou vengeurs de ses lois.

 

             Allez et volez, mes anges,

             Premiers nés de mon amour.

             Semez partout mes louanges,

             Partout allumez le jour.

             Gardez, célestes phalanges,

             La terre, aussi mon séjour.

 

– Nous voici ! nous voici ! Dans le ciel, sur la terre

          Où voulez-vous que nous soyons ?

Faut-il un vent léger, ou la voix du tonnerre ?

          Ou des éclairs, ou des rayons ?

 

Mais, Seigneur, affranchis des lois de la matière

          Comment gouverner ces grands corps ?

Par quel secret pouvoir de la Nature entière

          Régler la force et les accords ?

 

Pourtant, si vous voulez, tout deviendra possible,

          Car le néant vous obéit ;

Et vous savez unir d’un lien invisible

          L’onde au feu, le jour à la nuit.

 

             – Allez et volez, mes anges.

             Premiers nés de mon amour.

             Partout semez mes louanges,

             Partout allumez le jour.

             Gardez, célestes phalanges,

             La terre, aussi mon séjour.

 

– Oui, Seigneur ; et nos yeux, ouverts sur vos ouvrages.

          Y maintiendront l’ordre et la paix.

Nos mains vont arroser l’herbe des pâturages

          Et semer les taillis épais.

 

Venez, nous vous aimons, innombrables familles,

          Qui peuplez la terre et les airs :

Poisson qui fends les flots, hôte ailé des charmilles,

          Et toi, lion, roi des déserts !

 

De ces êtres divers qui vivent ou fleurissent,

          Aucun ne mourra dans l’oubli :

Dieu qui les a créés ne veut pas qu’ils périssent

          Avant que leur sort soit rempli.

 

             – Allez et volez, mes Anges,

             Premiers nés de mon amour.

             Semez partout mes louanges,

             Partout allumez le jour.

             Gardez, célestes phalanges,

             La terre, aussi mon séjour.

 

– Nous suivons du regard tous ces germes sans nombre

          D’où naîtront des races sans fin,

Qui roulent sous les pieds, et qui dorment dans l’ombre,

          Que cherche la flamme ou la faim.

 

Pas une goutte d’eau, dans l’éternel mélange,

          Ne se perd, objet précieux,

Qu’un rayon du soleil redemande à la fange,

          Que la terre reprend aux cieux.

 

Du brin d’herbe, de l’œuf, du moindre grain de sable

          Nous rendrons compte au Tout-Puissant.

Nous suivrons dans son vol l’atome insaisissable

          Qu’un rayon éclaire en passant.

 

             – Allez et volez, mes Anges,

             Premiers nés de mon amour.

             Semez partout mes louanges,

             Partout allumez le jour.

             Gardez, célestes phalanges,

             La terre, aussi mon séjour.

 

 

                                         II

 

             ILS vont où Dieu les envoie,

             Par son souffle dispersés,

             Avec amour, avec joie,

             Par l’onde ou les vents bercés.

             Ainsi volent les abeilles,

             Au matin, quand les corbeilles

             Des lis et des fleurs vermeilles

             S’ouvrent aux essaims pressés.

 

             Pour eux, quand Dieu les appelle,

             Nul espace n’est trop long :

             Leur armée immense et belle

             Vole au sud, à l’aquilon.

             Moins d’éclairs ont les orages,

             Moins de feuilles les ombrages,

             Moins de gouttes les nuages,

             Et moins de fleurs le vallon.

 

             Ils vont du pic solitaire

             Alimenter le glacier ;

             Leur œil, au sein de la terre,

             Voit germer l’or et l’acier.

             Ils vont, la plaine est fleurie,

             Verte et fraîche la prairie,

             Où par leurs soins est nourrie

             La mâle ardeur du coursier.

 

             Ils maintiennent dans le monde

             Cet ordre, exact dans son cours,

             Qu’une sagesse profonde

             Y mit au premier des jours.

             La comète échevelée

             Les entend : sa course ailée,

             Ainsi qu’elle fut réglée,

             Par eux s’accomplit toujours.

 

             L’amour leur a fait des ailes

             Qui, vites comme l’éclair,

             Portent ces esprits fidèles

             Par les flots, la terre ou l’air.

             Avec Dieu toujours unie

             Leur puissance est infinie,

             Et le rayon du génie

             Sur leur front luit pur et clair.

 

             De l’admirable Nature

             Ils savent tous les secrets :

             Quelle est l’intime structure

             Du gland, espoir des forêts ;

             Quel feu nourrit les étoiles,

             Où notre nuit prend ses voiles ;

             D’où viennent les frêles toiles

             Qui tapissent les guérets.

 

 

                                        III

 

MAIS venez, Anges saints, écoutez en silence :

C’est Dieu qui veut parler, c’est son trône qui lance

             Et des tonnerres et des voix 2.

« La terre est bien, dit-il 3, mais c’est un palais vide,

» Donnons à l’univers, afin qu’il y préside,

              » Son hôte et son maître à la fois.

 

» Dans la prison d’un corps j’enfermerai son âme,

» Comme vous, purs esprits, pure et subtile flamme,

              » Que n’éteindra point le trépas.

» Mais le souffle des sens aura prise sur elle ;

» De là naîtront des maux, une longue querelle...

              » Alors ne l’abandonnez pas. »

 

Ainsi dit le Seigneur, et l’homme prit naissance ;

Assemblage étonnant d’audace et d’impuissance,

              Il devint rebelle à son Dieu.

Dés lors il fut en proie aux humaines misères ;

Mais les Anges gardiens, ses invisibles frères,

              Sur lui veillèrent en tout lieu.

 

Ô célestes amis ! soutenez sa faiblesse,

Enseignez son enfance et portez sa vieillesse :

              Il est déchu, mais il est roi.

Rattachez à son front sa couronne flétrie,

Pour qu’il l’ait radieuse, un jour, dans la patrie,

              Que de loin lui montre la Foi.

 

 

 

Abbé Augustin RAINGUET,

Œuvres poétiques, vol. I, 1890.

 

 

 

 



1 Job, XXXVIII, 11.

2 Apoc, IV, 5.

3 Gen., I.

 

 

 

 

 

 

 

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