Vendredi-Saint

 

 

                                    I

 

                           L’ ÉTREINTE

 

Le Verbe s’est fait chair pour mourir et c’est l’heure.

Le Golgotha... Les croix... Quelques soldats romains...

Les deux larrons, dont l’un blasphème et l’autre pleure...

Des pharisiens... Le Christ... La foule à pleins chemins...

 

De l’immense hosanna d’hier rien ne demeure.

Le Roi des Juifs, pour sceptre, a des clous dans les mains.

Sa mère endolorie attend l’instant qu’il meure.

Le corps qu’elle a formé saigne sur les humains.

 

Devant la multitude ingrate, qui renie

l’amour démesuré dont elle fut bénie,

L’Agneau de Dieu prolonge une atroce agonie.

 

Il pardonne aux bourreaux d’un sang divin couverts ;

et le geste cloué de ses deux bras ouverts

d’une étreinte infinie embrasse l’univers !

 

 

                                    II

 

                              L’OMBRE

 

Après avoir reçu, dans le jour déclinant,

les soins pieux que rend l’humaine sympathie,

le cadavre du Christ pénètre maintenant

au tombeau qu’a prêté Joseph d’Arimathie.

 

Du soleil qui s’en va le globe étincelant,

ayant récupéré sa lumière obscurcie,

projette une splendeur sur le décor sanglant

dont fut environné le trépas du Messie.

 

Le Calvaire n’a plus personne aux alentours.

Dans le ciel embrasé découpant ses contours,

rouge, la Croix reluit sur le mont solitaire.

 

Et, jusqu’à l’horizon allongeant son parcours,

l’ombre que le couchant forme d’elle à rebours,

rapide et symbolique, accapare la terre !...

 

 

 

Lucien RAINIER, Avec ma vie,

Montréal, Éditions du Devoir, 1931.