Louange universelle
14 mai : Ascension. Vers les sept heures, j’ai ouvert ma fenêtre. Il pleuvignait. Un ciel gris. Mais les oiseaux ne voulaient pas se taire.
J’écoute avec nouveauté, je regarde aussi avec des yeux neufs : c’est le don du matin, c’est quand on ressuscite. Et le chant des oiseaux redevient musique ; je le réincorpore au spectacle dont il n’est plus que l’accompagnement : il rentre dans le système, il redevient béatitude.
À perte de vue, il y a tous ces dômes pavoisés : le marronnier avec ses bougies blanches, la glycine aux grosses grappes violettes, la suite des poiriers sans feuilles, et encore tout couverts de leur neige (la nature est très en retard cette année), et puis tous ces petits pêchers de plein vent qui rougissent parce qu’ils passent, et du rose vif tombent au grenat comme un feu qui s’éteint. Un paysage d’île fortunée. Et, au premier plan, juste devant moi et à la hauteur de la fenêtre, quelque chose qui est la fraîcheur même, ce grand cognassier, le dernier venu, avec ses fleurs à peine dépliées, innombrables et d’un rose presque insensible dans le feuillage d’un vert éclatant : un cognassier-pomme, car il y a des cognassiers-poires ; un cognassier qui donne des fruits ronds et non pas allongés. Il semble que les oiseaux ne soient là que pour célébrer sa floraison et l’espèce de couronnement qu’il apporte à la fête du printemps. On comprend alors leur jubilation, on souscrit à leur monotonie. Car, poussant plus avant, on distingue obscurément que toute la nature n’est qu’une espèce de liturgie et qu’elle n’a pour fonction que de célébrer quelqu’un ou quelque chose (de se célébrer elle-même), avec persévérance et obstination. Jusqu’aux astres dans les cieux qui tournent perpétuellement sur eux-mêmes avec leur grande musique silencieuse par quoi ils se louent d’exister ; et puis, à présent, sur la terre, ces cloches, elles aussi singulièrement monotones, mais qui sont un nouvel apport à l’applaudissement universel.
Charles-Ferdinand RAMUZ, Journal.