L’arbre de Noël
Minuit ! sous son manteau d’hermine,
Dont la neige l’a recouvert,
Le château joyeux s’illumine,
Noël, Noël ! voici l’hiver !
Dans la chapelle rayonnante
Tous les fidèles sont courbés,
Depuis la marquise pimpante,
Jusques à messieurs les bébés,
Et les cloches sont secouées
Par les valets, à tour de bras,
Et l’encens monte par nuées
Au son d’éclatants hosannas,
Des jets de lumière aux corniches
Estompant d’étranges dessins,
Vont faire sourire en leurs niches
Les patriarches et les saints,
Et pendant que le curé prêche
Sur les sources du mot Noël,
Les enfants rêvent à la crèche
Qui rayonne auprès de l’autel,
Puis, soudain, on ouvre une porte
Et tous les gros bébés muets,
Tant leur émotion est forte,
S’arrêtent au seuil stupéfaits.
Au milieu de la vaste salle,
Un jeune sapin vigoureux,
Élance au plafond sa spirale
De rubans, de fleurs et de feux,
Oh ! la belle métamorphose !
On l’a séparé sans regret,
Pour cette courte apothéose,
De ses frères de la forêt.
Il est là dans toute sa gloire,
Pliant sous le faix des bonbons,
Des joujoux de la forêt Noire,
Des guirlandes et des festons.
Il est là constellé, superbe,
Et dans cet éblouissement,
Chaque branche est comme une gerbe
D’astres tombés du firmament.
Au sommet brille, doux symbole,
Dans des reflets bleus et légers,
Avec des lueurs d’auréole,
La blonde étoile des bergers,
Et l’on dirait à ce spectacle
Qu’une troupe de séraphins
Vient de descendre, par miracle,
Éclairer ce roi des sapins.
Et les frais bambins en extase
Ouvrent leurs grands yeux innocents
Devant les colliers de topaze,
Les perles et les diamants.
Car Polichinelle coudoie
Les plus étourdissants bijoux,
Pendus à des rubans de soie
Comme de modestes joujoux.
Et c’est plaisir d’entendre rire
Ces voix d’enfants, gais carillons,
De les voir sauter en délire
Comme un essaim de papillons.
Car bientôt chacun se concerte,
Et, d’un petit pas assuré,
Part gaîment à la découverte
De quelque coin inexploré.
Le petit Paul est là qui rôde
Autour d’un superbe nougat,
Et monsieur Jean fait la maraude
En se bourrant de chocolat.
Travail d’ailleurs qui ne l’empêche
De s’occuper assidûment
D’une brouette et d’une bêche,
Qui lui plairaient énormément,
Quant à Pâquerette, vermeille,
Au milieu de tous ces joujoux,
Son cœur de mère se réveille
Pour une poupée à trois sous.
Et les petits, assis par terre,
Battant des mains, poussant des cris,
Sur cet arbre qui les éclaire,
Jettent des regards attendris,
Pendant que Jeanne, solennelle.
Prenant des airs mystérieux,
Entame, avec Polichinelle,
Un entretien très sérieux,
Oh ! les jolis visages roses !
Mais pourquoi devant ce bonheur
Le souvenir de tristes choses
Vient-il frapper à notre cœur ?
Oh ! la douce joie enfantine !
Mais pourquoi devant ce tableau,
Ce divin parfum de résine
A-t-il troublé notre cerveau ?
Ah ! c’est que les vieilles légendes,
Qui jadis nous avaient bercés,
Viennent danser des sarabandes
En nous parlant des jours passés ;
Et nous rêvons de notre Alsace,
Aux grands yeux bleus levés au ciel,
Qui, sous le manteau qui la glace,
Ne fait plus d’arbres de Noël !...
Jacques REDELSPERGER,
Pâquerette, 1879.