Père, alors que le Christ...
Père, alors que le Christ mort et ressuscité
à chaque heure du temps donne la vie au monde,
donne à l’homme le pain d’où naît la sainteté
et appelle sans cesse afin que tout réponde,
alors que par son sang, en lui, et à jamais
il a rendu pouvoir de vivre dans l’amour
et de croître déjà vers l’univers parfait
à la chair dont la mort avait couvert les jours,
alors qu’à chaque instant l’homme qui s’ouvre au Christ
et qui s’unit à lui comme à son corps réel
peut recevoir partout la force de l’Esprit
et de l’arbre du temps faire un arbre éternel,
Père, voyez la mort, pourtant déjà vaincue,
continuer dans l’ombre à peser sur le monde
et l’homme demeurer un homme de refus
alors qu’abonde l’eau qui lave et qui féconde,
voyez l’homme s’user et mourir à lui-même,
consumer avec lui les vignes de la terre,
brûler l’huile de Dieu et tarir les fontaines
quand il pourrait en vous accomplir son mystère,
voyez-le essayer de bâtir sans vos mains
le corps qu’il a reçu le pouvoir de fonder
et ne faire des jours dont il est le levain
que des jours ténébreux et des jours désolés,
Père, alors qu’il est là, même lié au Christ,
sans cesse traversé par sa propre épaisseur,
sans cesse déchiré par le poids de la nuit
et par le désespoir qui divise le cœur,
le désespoir qui crie devant la mort du monde,
devant tout ce qui est encore absent de vous,
encor fait d’une chair chargée de plaies profondes
qu’on voudrait recouvrir du Corps qui guérit tout,
Ah ! devant un amour qui est toujours trop nu,
un amour que l’espoir lui-même creuse et vide
et qui, comblé sans cesse, attend sans cesse plus
même quand Dieu se tait pour rendre plus avide,
Père, devant cet homme en qui restent mêlés
l’absinthe avec le miel, – parce qu’au Corps du Christ
où dans la gloire seule ils seront partagés
il ne s’est pas lui-même encore assez uni,
devant l’impatience et le sang de l’amour
qui déjà est en vous et pourtant vous attend
et qui sait que Dieu seul peut finir les labours
et transformer chaque homme en un homme vivant,
ne laissez plus en lui mourir encor le Christ,
mais faites qu’avec lui vraiment ressuscité
chaque homme vive enfin vraiment de votre Esprit
et fasse tout entrer dans votre éternité !
Jean-Claude RENARD,
Père, voici que l'homme, Seuil.