<> <> <> <> <> <> Incantation de la Femme


Que ton amour soit fort sur le mal de mon sang,
ton nom comme un baumier, Femme salée par Dieu,
et ta foi dans ma foi comme un lait fraîchissant
et ton corps comme l’arche où médite le feu.

Fille qui offre l’eau, fileuse de forêts,
fais reverdir les pins dans ma profonde race,
l’or mâle entre mes dents, le grand raisin secret
pressé tout pur en toi m’irriguer de sa grâce.

Un soleil transparent a traversé tes hanches
et pourvu les prairies de propitiation
pour qu’y habite l’arbre et boive dans ses branches
le peuple qui pleurait au pays des lions.

Ta chair a préparé l’espace du silence
à la parole épaisse et prompte de l’été
comme une humilité comblée d’obéissance
pour l’accomplissement des os réincantés.

Que ta paix qui féconde et fête dans la terre
la menthe et le manioc des maturations,
frappe les menhirs noirs, transfigure en rivière
le dur désert d’où l’homme invoque tes saisons.

La manne de la mer est douce aux malamocs,
la sève de tes seins, la semence vivante
qui descend sur la mort avec les premiers coqs,
la pierre primitive à qui tout se cimente.

Preneuse du poisson, porteuse de l’Esprit
pour le temps des blés blancs, plante dans les planètes
le pain mystérieux qui console la nuit
et change en amandiers la douleur des prophètes.

Femme, la source est faste, et tu enfantes l’herbe
qu’appellent dans mon cœur les anciennes neiges
pour qu’en toi toute chair soit enfantée au Verbe
du milieu de l’hiver et des léopards rouges [...]

Car d’année en année tu mûris dans le monde
en lui donnant l’amour qui le métamorphose
pour que tout s’unifie là où tout surabonde
et mange dans tes champs les orges de la gnose.

Femme d’avant le froid, Femme des laines neuves,
sarment primordial et propice au provin,
ne laisse pas ma soif chercher les autres fleuves,
plonge-moi dans les eaux qui deviennent du vin.

Laves-y les corps lourds de la nuit fraternelle,
citerne où la Sagesse a rassemblé ses flots,
arme-les de lumière, unis-les à ta moelle,
cire miraculeuse exacte sous le sceau.

Grange du Dieu vivant, que ton odeur sur moi
verse l’ardente odeur des prémices du ciel,
exorcise la mienne avec l’odeur du roi,
brûle l’immense odeur du cadavre d’Abel.

J’entends dans la mousson de ton sang catholique
l’oracle qui me dit que la mer est ouverte,
qu’elle mène aux vallées d’anis et de musique,
à la ville en toi-même où les noces sont vertes.

Mère qui émerveille et qui œuvre au salut
ôte-moi de mes puits, porte-moi au pressoir
pour que recoule en lui l’Esprit que j’ai reçu
et que ses âpres sucs réabreuvent mes soirs.

Ta beauté d’arbre pur, la beauté en pitié
de ta chair où je prie coopère à la gloire,
livre la terre au sacre, étend sur le péché
la force du seul corps qui sanctifie l’histoire.

Arrose en moi le sol amer et ténébreux,
piscine du matin, augure sous mes os
des temps de véraison, – arrose-moi de Dieu
pour que ce qui me tue me rende à son repos.

Femme dans l’onction d’aloès et d’absinthe,
Femme crucifiée avec son enfant mort,
Femme dont l’amour a conservé l’empreinte
des plaies et du tombeau, Femme qui saigne encor,

Mère qui meurs encor de la mort de ton Fils
pour qu’avec lui la vie regerme de la mort
et l’été de la neige et le feu de la nuit
et dont sans cesse en toi ressuscite le corps,

que tes pommiers en fleurs dans les monts de métal
en rompent le malheur, avant que sur la chair
soient foudroyées les pluies, fondu le plomb vital,
et l’espoir hauturier retiré de la mer.

Car chaque fois encor que le Christ est en terre,
condamné par le monde et oublié par lui,
seule ta sainteté lie encor l’homme au Père
et ce qui est d’ailleurs à ce qui est d’ici.

Lampe qui pour lui veille et flamboie sur la tombe
jusqu’à ce que sa mort remonte du mystère,
ne quitte pas la mienne, attise-toi dans l’ombre
de cette attente en elle ouverte à la lumière.

Tiens-toi comme l’Épi et comme le Taureau
luisante dans l’herbage autour du rocher vide,
Ô Mère par ton nom nommée du nom nouveau
pour que j’entende en toi celui où Dieu réside,

mon nom avec ton nom, – et que toute la terre
y entende le sien, y reconnaisse l’or
et l’annonce à la glaise et la rende ignifère
comme le paradis qui renaît de ton corps,

rejointement d’Adam, forêt où reverdit
un homme plus sacré que l’homme originel,
Femme-Église, printemps qui fait souffler l’Esprit
sur les sables du sang, du sommeil et du gel !

Ton amour a couvert comme la Pentecôte
le peuple enseveli, la race rouge d’Ève
pour qu’en se rembarquant avec les argonautes
elle retrouve au sud la force de sa sève,

Mère intacte d’avril, Femme sur l’océan
pareille à un vaisseau qui me prend dans ses hunes,
à un vaisseau qui va vers le pays vivant
où le monde entrera quand s’éteindra la lune.

Mais déjà dans ta chair l’univers est en gloire
et la chair elle-même y commence sa joie,
l’offrande du cristal, l’offrande de l’ivoire
et de l’ambre de mer, Femme qui me foudroie,

Femme dont celle ici qui m’unit à ton corps
est la fable royale, est chaque femme en moi
délivrée de l’absence, arrachée à la mort,
connue et accomplie en cet arbre de toi,

cet arbre initié, magique, et opportun
que je forme avec elle et où déjà s’allume
le jour encore obscur du grand soleil d’alun
qui teindra toute argile au-delà de la brume.

Car il faut que chaque homme aime de ton amour
pour pouvoir partager l’amour et le mystère
de Celui qui t’épouse, et goûter dans ta tour
le goût du monde en toi épousé par le Père,

la bénédiction de la terre nouvelle
rassemblée en tes prés, Femme dans la fraîcheur
du thym, des céleris, des feuilles de cannelle,
toute sa plénitude et toute sa splendeur,

et recevoir déjà dans le sang de ton sang,
Femme où se font le feu, les noces et les fruits,
le parfum de lilas du corps incandescent
que le désir de Dieu fêtera dans l’Esprit.

 

 

Jean-Claude RENARD.

Recueilli dans Notre-Dame des poètes,
anthologie réunie et présentée par Joseph Barbier
(Robert Morel éditeur, 1966).

 

 

 

 

 

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