Soleil d’avril
I
Voici le temps des fleurs ! – Dans la plaine embaumée
Avec Avril charmant naît le printemps vermeil,
On sent passer dans l’air une brise enflammée
Et sous les feux du ciel la terre ranimée,
Joyeuse, sort de son sommeil !
Malgré moi je tressaille et je reprends ma lyre
Qui dormait dès longtemps pendue à mon chevet.
Ô ma Muse, reviens ! daigne encor me sourire,
Conduis mes pas aux bords d’un ruisseau qui soupire,
Sous le dôme ombreux d’un bosquet !
Dieu ! que le Ciel est pur ! que la nature est belle !
Comme tout dans les champs s’allume et resplendit !
Sur chaque fleur naissante un rayon étincelle ;
L’oiseau sur l’arbre vert vole et lustre son aile,
L’insecte dans l’herbe bondit.
Aux chants des moineaux francs et des bergeronnettes,
Le matin l’on s’éveille et le soir on s’endort,
Et dans les prés fleuris de larges pâquerettes
Ouvrent coquettement leurs blanches collerettes
Et laissent voir leurs boutons d’or !
C’est le mois où l’amant songe à sa bien-aimée ! –
Le rossignol rêveur, ce chantre sans pareil,
Gazouille un chant d’amour sous la verte ramée
Et la rose entr’ouvrant sa bouche parfumée
Sourit aux baisers du soleil.
Oui ! le spectacle est grand ! – Tout cela c’est superbe !
D’où vient donc qu’à l’aspect des arbres et des fleurs,
Du ciel bleu, des ruisseaux qui serpentent dans l’herbe,
Un souris de pitié ride ma lèvre imberbe
Et qu’en mes yeux roulent des pleurs ? –
II
Qu’un autre, par la main guidant sa bien-aimée,
Aille, au déclin du jour, à l’ombre, au bord des eaux,
S’enivrer des parfums de la brise embaumée,
Écouter le chant des oiseaux !
Qu’il s’en aille avec elle, à travers les prairies,
Fouler d’un pied distrait l’émail vert du gazon !
Qu’ils laissent au hasard flotter leurs rêveries,
L’ivresse au cœur, l’espoir au front !
Quand la blanche Phœbé vient poser dans la brume
Son flambeau scintillant sur le front de la nuit,
Lorsqu’à ses pieds, pareils à des flocons d’écume,
Les nuages volent sans bruit ;
Qu’ils s’égarent alors aux détours du bois sombre,
Sous le dôme onduleux des marronniers en fleurs !
Qu’ils se tiennent tout bas de doux propos dans l’ombre !
Que la joie abonde en leurs cœurs !
Qu’ils se disent l’un l’autre et d’une âme ravie
« Je t’aime ! » Et que l’écho qui dort dans le bois sourd,
Comme l’adieu lointain de quelque voix amie,
Répète ce serment d’amour !
III
Ceux-là sont bien heureux ! – Au jour de sa naissance,
Le sort avec amour à cet homme a souri
Et l’ange du bonheur, frère de l’espérance
A comblé de ses dons son jeune favori.
Il est aimé du ciel et sa lèvre altérée
Ne connaît qu’un breuvage aux flots délicieux
Et n’a jamais pressé qu’une coupe dorée,
La coupe d’ambroisie où boivent les heureux !
Il s’endort souriant, souriant il s’éveille,
Son cœur chaste et serein s’ouvre aux illusions,
Tous ses jours sont joyeux et tandis qu’il sommeille
En songe il voit passer de blanches visions ;
Il voit des séraphins au sourire angélique,
Comme de gais oiseaux, voler près de son lit.
Ou bien sa blonde amante au front mélancolique,
Comme un astre dans l’ombre apparaît dans sa nuit !
Heureux qui, comme lui, peut se dire en soi-même :
« Je ne suis point ici solitaire et perdu,
» Dans ce monde égoïste, il est quelqu’un qui m’aime,
» À la voix de mon âme, une âme a répondu ! »
Mais pour celui qui vil sans ami, sans amante,
Dont une main jamais ne vient presser la main,
Qui toujours marche seul, dont la poitrine ardente
Laisse en lambeaux sa chair aux buissons du chemin ;
Qui n’a jamais senti, plein d’une chaste flamme,
Tandis qu’un cœur aimé palpitait sur son cœur,
La vie et le bonheur déborder dans son âme,
Comme un vase trop plein d’où jaillit la liqueur ;
Qui jamais n’est venu, rêveur, par la vallée,
Dans une douce extase, errer silencieux
Sous le voile embaumé de la nuit étoilée,
Le sourire dans l’âme et les pleurs dans les yeux ;
Pour lui point de bonheur ! – Tout est morose et sombre !
Rien ici-bas pour lui n’est lumineux et pur,
L’oiseau n’a point de chants, la forêt n’a point d’ombre,
Le vent point d’harmonie et le ciel point d’azur !
Pleurer ! Souffrir ! – Voilà son partage sur terre !
Voilà le triste lot qui lui fut assigné !
Il ira son chemin, pensif et solitaire,
Toujours aimant, Seigneur, et toujours dédaigné !
Pareil au nautonier battu par la tempête
Dont l’œil hagard ne voit que le ciel et les flots,
Sous l’étreinte du sort il courbera la tête,
En nulle âme ses cris n’éveilleront d’échos !
Il s’épuise à lutter ! – Tôt ou tard il succombe.
Demain son corps gîra sous les cyprès en fleurs,
L’Immortelle demain s’ouvrira sur sa tombe
Et pas un œil ami n’y répandra des pleurs !!
Henri RENARD.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.