À M. de Lamartine
APRÈS LA LECTURE DE SON POÈME.
Pendant le soir bruyant, pendant la nuit muette,
Mon cœur a dévoré ton saint livre, ô poète !
Et lorsqu’à ma fenêtre a reparu le jour,
Je relisais ces chants de prière et d’amour,
Ces chants de deuil, d’espoir de vie et d’agonie ;
Et puis je te nommais en disant : Ô génie !
Et de mon cœur soudain les battements pressés,
Mes soupirs retenus longtemps, mes pleurs versés,
L’intérieur élan qui vers Dieu nous élève,
Des images passant devant moi comme un rêve,
Des troubles inconnus dans tous mes sens restés,
Quelques mots de tes vers au hasard répétés,
Et Marthe, et Jocelyn, et sa mère Laurence,
Et ce chien dont l’instinct d’une âme a l’apparence,
Êtres créés par toi, dans ma famille admis,
Nés d’hier seulement et déjà vieux amis ;
Ce drame qui d’amour et de pleurs se compose,
La mort, dont la pensée épouvante et repose,
L’homme esclave du corps, l’être matériel,
Le combat sur la terre et le triomphe au ciel,
Et partout tant d’éclat, que des jeunes années
On croit voir reverdir toutes les fleurs fanées ;
Voilà les sentiments qui me viennent de toi,
Voilà ce que ton livre a fait passer en moi.
À Byron, barde anglais, toi, poète de France,
On te compare, ainsi que la belle espérance
Au sombre désespoir ; et c’est avec raison
Que l’univers a fait cette comparaison.
Ta poésie est tout, rayon, flamme, mystère,
Ce qui pare, colore ou parfume la terre ;
C’est le vent de l’aurore et la brise des soirs,
Les nuages montant de l’or des encensoirs,
La fleur entre les noirs barreaux de l’esclavage
Les perles que la mer roule sur son rivage,
Le cygne sur le lac, l’aigle au-dessus des monts,
Ce que nous dit tout bas le cœur quand nous aimons,
Tantôt la vérité, tantôt la parabole,
Et toujours de la vie un éclatant symbole.
Il faut l’accord céleste à nos claviers humains
Et les notes du ciel bondissent sous tes mains.
Il faut un baume au mal que le sort nous destine,
Et ce baume est pour moi dans tes vers, Lamartine,
Cher nom, beau nom, grand nom !... qui résume à la fois
Tout ce qu’ont de plus doux les âmes et les voix.
Jules de RESSÉGUIER.
Paru dans les Annales romantiques en 1836.