Ce que j’aime...

 

 

J’aime la grande plaine

De moissons toute pleine,

Où l’on reprend haleine :

Quand vient le soir, souvent,

J’y laisse ma pensée,

Heureuse, – et délaissée

D’une ardeur insensée, –

Courir au gré du vent.

 

J’aime l’onde limpide

Qui, toujours intrépide,

Dans la prairie humide

Coule entre les roseaux.

Sa course fugitive,

Qui berce et qui captive,

Rend mon âme attentive

Au doux chant des oiseaux !

 

J’aime le doux murmure

De ta verte ramure,

Ô forêt qui murmure

Un hymne solennel !

Ta voix grave et profonde,

Qui soupire et qui gronde,

Est pour moi, loin du monde,

Un concert éternel !

 

Sombre mer insondable,

Quand ta voix formidable,

Sinistre et lamentable,

Jette aux marins l’effroi ;

Ô lionne farouche

Qu’aucun sanglot ne touche,

Sur toi, quand il se couche,

J’aime à voir l’astre-roi !

 

Ô mer où pend la voile,

J’aime la blanche étoile

Qui bien souvent se voile

À tes flots en courroux ;

Et quand la pâle lune

Éclaire au loin la dune

Et le grand mât de hune,

J’aime ses beaux yeux roux !

 

Par les sentes fleuries

Des bois et des prairies,

Où les vierges chéries

Aux charmants yeux d’azur

Vont, âmes ingénues,

Offrir leurs gorges nues

Aux brises bienvenues,

J’aime aspirer l’air pur !

 

Sous les branches ombreuses

Des forêts ténébreuses,

Où les biches peureuses

Errent, l’œil en éveil,

Souvent je vais surprendre,

Cherchant à le comprendre,

Le rêve doux et tendre

D’un beau couple vermeil !

 

Penseur profond et sage,

En un gai paysage

J’aime les nuits d’orage :

Quand le ciel tout en feu,

De sa voix effrayante

Plonge dans l’épouvante

La terre frémissante,

Ma lyre vole à Dieu !

 

Oh ! j’aimerais encore

Les monts neigeux que dore

La radieuse aurore

D’un beau jour de printemps ;

J’aimerais ces rivages

Où les riants feuillages

Sont exempts des ravages

Des hivers attristants !

 

J’aime ton harmonie,

Ô nature bénie

Que chante le génie !

Tes charmes gracieux,

De leur douce caresse,

Bercent avec ivresse

Ma tranquille paresse

Et captivent mes yeux !

 

 

 

Jules RÉTHORET.

 

Paru dans Poésie, 11e volume

de l’Académie des muses santones, 1888.

 

 

 

 

 

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