Hiver

 

                                 À Mathilde R...

 

VOIS les hirondelles frileuses,

Redoutant les tristes frimas,

Hier ont quitté nos climats

Pour des rives plus généreuses.

 

Enfant, c’est qu’aux derniers beaux jours

Va succéder l’hiver morose,

Effeuillant la dernière rose

Si chère aux tardives amours !

 

Hélas ! la plaine est nue et sombre ;

Le feu du pâtre brille au loin ;

Pour aimer, le cœur a besoin

De flammes vives et sans nombre.

 

Aux pâles rayons du soleil

Substituons force flambées.

Et narguons les neiges tombées,

Blottis sous l’âtre au feu vermeil.

 

Laissons les champs aux songeurs graves :

Ils sont sans fleurs et sans gaîté ;

Car les oiseaux, comme en été,

N’y chantent plus leurs chants suaves.

 

Hélas ! les bois sont sans parfum,

Les vallons déserts sans verdure.

Fuyons le vent et la froidure

À l’âpre et dur souffle importun.

 

Il est temps, vois-tu, ma chérie,

D’abandonner les noirs sentiers

Où jadis, sous les noisetiers,

Nous contemplions la prairie.

 

Les cigales chantaient gaîment

Au bord des bois, au sein des herbes,

Et les fleurs vives et superbes

S’effeuillaient sous ton pied charmant.

 

Le souffle parfumé des brises

Rafraîchissait nos fronts joyeux,

Et tous les matins, à nos yeux,

Se présentaient mille surprises.

 

Maintenant, au logis bien clos,

Loin des plaines ensoleillées,

Sachons dans les douces veillées

Trouver la joie et le repos.

 

Là, Je soir, près du feu qui brille,

Nos deux enfants tout près de nous,

Leur livre ouvert sur nos genoux,

Goûtons la paix de la famille.

 

Au lieu des fleurs et des oiseaux

Qui bercèrent notre caprice,

Alors, – ô Gaston, ô Maurice, –

Nous aurons vos fronts purs et beaux.

 

Doux êtres aux bouches rieuses,

Pour astres aux divins rayons

Le bon Dieu veut que nous ayons

Vos yeux aux clartés radieuses.

 

Vous êtes les oiseaux bénis

Dont la voix vibrante à toute heure,

Remplit si bien notre demeure

De chants aux charmes infinis.

 

Près de vous, près de votre mère,

Heureux je passerai l’hiver,

L’âme tranquille et le cœur fier,

Sans craindre la saison amère.

 

Et quand, sur ma strophe penché,

Le soir j’entendrai votre rire,

L’amour fera vibrer ma lyre

Devant le poème ébauché.

 

Vos voix seront le doux murmure

Cher au poète, ce penseur

Qui de la nuit hait l’épaisseur

Et cherche l’aube fraîche et pure.

 

– Ô tendre épouse, ô fils charmants,

Du logis fermons bien la porte :

La bise prend la feuille morte

Et l’entraîne aux gouffres béants !

 

Regardez, là-bas, dans les plaines,

La neige vole en tourbillons !

Adieu les champs aux frais sillons

Où l’été volent les phalènes !

 

 

 

Jules RÉTHORET.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

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