L’aurore de minuit

 

                                                                  À Henri Ghéon.

 

 

                                                I

 

J’ai pris congé des dieux comme tombait la nuit.

Dieux blancs, dieux lumineux, dieux à ma ressemblance.

Ils devaient tout sauver. Ils avaient tout détruit.

Trop de sérénité masquait leur impuissance.

 

Je ne veux plus savoir ni leur mal ni leur bien.

La balance du Juste en leurs mains est faussée.

Je fermerai les yeux ; je n’écouterai rien,

Aussi longtemps qu’en moi survivra leur pensée.

 

Je m’étais demandé dans un immense effort

Si la terre ou le ciel n’était qu’une ironie ;

Si ces divinités de marbre au regard mort

Figuraient leur détresse ou ma mélancolie.

 

Mensongères cités, faux temples, faux palais,

Vos peuples orgueilleux sont tombés en démence.

Filles, forçats, banquiers, proxénètes, valets,

Je vous laisse à vos jeux : un cycle recommence.

 

Si vous faites la paix, je deviendrai guerrier.

Ne comptez pas sur moi pour la cité grégaire.

Ni mouton du troupeau, ni roi sur l’échiquier.

Je chanterai la paix, quand vous ferez la guerre.

 

 

                                                II

 

La paix tombe, ce soir, des cloches de Noël.

Je reconnais le chant dont leur âme déborde

En la sérénité de son jour éternel

Un Père à ses enfants promet miséricorde.

 

Je songe à vous, – pourquoi ? – maîtres en camaïeu,

Mes pères paysans, graves tailleurs d’images !

Dans l’or et le granit vous ne cherchiez que Dieu.

Vous guettiez son étoile, à la trace des mages.

 

                                                *

 

N’est-ce pas une nuit semblable à cette nuit,

Aussi bleue, aussi nue, aussi pure, où la flore

Des constellations sans fin s’épanouit,

Que les bergers croyaient que blanchissait l’aurore ?

 

Quelle aurore ? Un soleil qui n’est pas le soleil,

Une étoile inconnue et qui raye la voûte,

Comme nous n’en voyons que dans notre sommeil,

Prochaine, et patiente à nous montrer la route !

 

Elle n’a jamais eu sa place au firmament ;

« La seule, Dieu dirait, que je n’ai pas pensée. »

Mais l’archange étonné, ni l’eau du diamant

En éblouissement ne l’ont point dépassée,

 

Car il est composé de toute la douleur :

Depuis l’aube d’Adam et sa rosée amère !

Voici l’enfant Abel, et le premier malheur :

Ô sanglot paternel ! Ô sanglots de la mère !

 

Leurs pleurs se grossiront de ceux des innocents :

Œdipe sans regard que son peuple renie,

Ou Jeanne à son bûcher, montant comme un encens,

Mais, sur tous, l’autre Abel, au Jardin d’agonie !

 

                                                *

 

Ô larme de minuit, qui donc eût jamais cru,

Que tant d’éclat jaillît de la pitié des âges,

Que ton heure viendrait, mais qu’elle n’apparût

Qu’à des bergers obscurs, des enfants et des mages ?

 

 

                                                III

 

Le temps recommença total et triomphant.

Le dieu que je cherchais naissait sous une grange.

On laissait les troupeaux à la garde d’un ange.

On était racheté du mal par un Enfant.

 

                                                *

 

Regardons-le dormir. C’est Dieu. La jeune fille,

C’est sa mère. Et voici Joseph. Maison de Dieu,

Nous n’oublierons jamais ton nom, ni ce haut lieu,

Bethléem, bien qu’ici notre étoile vacille ;

 

Vous ne la verrez plus, bergers ; elle s’éteint,

Tout en continuant à briller sur la crèche.

Mais son rayonnement, qui remplit l’aube fraîche,

Brûle au cœur de la Mère, – étoile du matin.

 

 

 

Jacques REYNAUD.

 

Paru dans La Revue universelle

en mai 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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