Chant d’amour pour l’automne

 

                                     FRAGMENT

 

 

 

L’ÉPOUSE

 

À l’extase dont ton cœur tremble,

Comme toi, fol ami, j’ai part.

Mais ce dieu sanglant te ressemble :

La pitié fixe mon regard.

Que les soleils cabrés s’affrontent,

Quand la même main qui les dompte

Un bourreau la cloue à la croix,

Le feu d’amour coule en mes veines.

Chargez-moi des infâmes chaînes

Qui retiennent Dieu sur ce bois !

 

L’ÉPOUX

 

Tais-toi. Je sais. Que sa folie

Me ravisse en son tourbillon !

C’est Dieu le Fils qu’on crucifie

Sur la montagne de Sion.

Dieu blasphémé, reste notre hôte.

Pour expier l’antique faute,

Victime, autel, sont préparés ;

Dans son essence inaccessible

Le Père se ferme, insensible

À tes appels désespérés.

 

Comme l’apôtre, il te renonce,

Mais il sauve ses fils humains.

Son amour de ma race enfonce

Les clous dans tes pieds, dans tes mains.

Le bourreau dont le bras t’accable,

Père à soi-même impitoyable,

Il le suscite et te confond.

Et toi, d’amour tu rivalises :

Toutes tes puissances soumises,

Tu donnes ton sang, jusqu’au fond.

 

Écarte-toi de moi, Sibylle,

Puisque les temps sont révolus !

Votre voix désormais stérile,

Prophètes, je ne l’entends plus.

Ô Dieu qu’on écrase et qu’on foule,

Sainte Vendange, fruit qui croule

Sous le poids trop grand de l’amour,

Le pressoir fume, le sang fume,

Et jusqu’aux astres qui s’allument,

Jusqu’au Père, il monte âcre et lourd.

 

Automne sacrée, allégresse

D’un cœur par Dieu même comblé,

Richesse, plénitude, ivresse !

J’ai reçu le vin et le blé.

Dans mes veines circule, agile,

Le sang des fils pétris d’argile :

J’ai trouvé l’énigme. L’esprit

Ébloui de sa délivrance,

Comme aux cieux les sphères, je danse

Autour du corps de Jésus-Christ.

 

L’ÉPOUSE

 

Et moi, je laverai sa face,

Je voilerai sa nudité.

Devant mon roi, j’ai trouvé grâce

Au jour de son ébriété.

Saccage notre treille, Automne !

La mystique grappe couronne

Le Jardin fermé ceint de feu.

Pampre immortel, ramure sombre,

Ô croix, étends sur nous ton ombre,

Endormons-nous aux pieds de Dieu.

 

 

 

Jacques REYNAUD, Les Métamorphoses.

 

 

 

 

 

 

 

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