À Jeanne d’Arc
Bronze, auguste métal, dont l’âpre majesté
Semble renfermer l’âme héroïque de Rome,
À la taille du dieu toi qui, grandissant l’homme,
Lui forges un manteau dans ton éternité,
Bronze, prodigue-toi ! – Sur nos monts, sur nos places,
À l’ombre de nos tours et dans le ciel serein,
Que surgisse partout, incarné dans l’airain,
L’Ange des souvenirs plus que jamais vivaces !
De pieux ex-voto consacre son chemin,
De ce triomphe, Reims, à Rouen, ce calvaire,
Et que Jeanne nous dicte, avec ta voix sévère,
Par l’exemple d’hier la leçon pour demain !
Montre-la-nous, pastoure, apitoyant son rêve
Au râle agonisant de la France aux abois,
Guerrière, brandissant le glaive de Fierbois,
Sainte, sur le bûcher dont la flamme s’élève.
Telle que la voici surtout montre-la-nous,
Le front auréolé d’un reflet de prodige,
Droite, marchant au but où le Ciel la dirige,
Dans l’immense hosannah du peuple à ses genoux.
... Ô Jeanne, parle-nous ! dis-nous comment la France,
Brisant comme le Christ les portes du tombeau,
Et repoussant du pied l’Allemande Isabeau,
Sous ces voûtes chanta l’hymne de délivrance,
Quand sur ton front promis aux palmes du martyr
Les lauriers du vainqueur seuls verdissaient encore,
Et que, devant les lys irradiés d’aurore,
Tu crus ton œuvre faite et tu voulus partir.
Non, ton œuvre n’est pas finie !
Tant que l’ombre étreint la clarté
De l’antique gloire ternie,
Relève le défi jeté !
Tire ton épée, ô guerrière,
Et sans regarder par derrière,
Marche, obéis au Dieu vivant !
Pour l’exilé – là-bas – qui prie,
Pour le vaincu, pour la Patrie,
Marche, Jeanne, marche en avant !
Tant que sur le monde en détresse
Pèsera le bras du plus fort,
Que contre le joug qui l’oppresse
Le faible tendra son effort,
Déploie au vent ton oriflamme !
Souffle en notre âme ta grande âme,
Ton mépris hautain du danger,
Et que l’enfant qui te contemple
Apprenne ici, par ton exemple,
Comme on « boute hors » l’étranger.
Dis-lui bien qu’elle était plus sombre,
La nuit où la France autrefois
Se débattait, vaisseau qui sombre,
Dis-lui ce que disaient tes voix :
« Comme une indélébile tache
« Qu’à tout front la honte s’attache
« Quand l’étranger souille un pays » ;
Dis-lui que l’honneur suit la peine !
... Puisse-t-il t’entendre, ô Lorraine,
Ô « patronne des envahis ! »
H. RICHARDOT.
Paru dans L’Année des poètes en 1897.