Noël misérable

 

 

Noël ! Noël ! À l’indigent

Il faudrait bien un peu d’argent,

Pour acheter du pain, des nippes.

Petits enfants, petits Jésus,

Des argents que vous avez eus

Il aurait bourré bien des pipes.

 

Noël ! Noël ! Les amoureux

Sont bien heureux, car c’est pour eux

Qu’est fait le manteau gris des brumes.

Sonnez, cloches ! cloches, sonnez !

Le pauvre diable dans son nez

Entend carillonner les rhumes.

 

Noël ! Noël ! Les bons dévots

S’en vont chanter comme des veaux,

Près de l’âne, au pied de la crèche.

Notre homme trouverait plus neuf

De manger un morceau de bœuf,

Et dit que ça sent la chair fraîche.

 

Noël ! Ça sent les réveillons,

Les bons grands feux pleins de rayons,

Et la boustifaille, et la joie,

Le jambon rose au bord tremblant,

Le boudin noir et le vin blanc,

Et les marrons pondus par l’oie.

 

Et le misérable là-bas

Voit la crèche comme un cabas

Bondé de viande et de ripaille,

Et dans lequel surtout lui plaît

Un beau petit cochon de lait...

C’est l’enfant Jésus sur sa paille.

 

Noël ! Noël ! Le prêtre dit

Que Dieu parmi nous descendit

Pour consoler le pauvre hère.

Celui-ci voudrait bien un peu

Boire à la santé du bon Dieu ;

Mais Dieu n’a rien mis dans son verre,

 

Noël ! On ferme. Allons, va-t’en !

Heureux encore si Satan,

Qui chez nous ces jours-là s’égare,

Te fait trouver dans le ruisseau

Quelque os où reste un bon morceau

Et quelque moitié de cigare !

 

Noël ! Noël ! Les malheureux

N’ont rien pour eux qu’un ventre creux

Qui tout bas grogne comme un fauve,

Si bien que le bourgeois, voyant

Leur œil dans l’ombre flamboyant,

Au lieu de leur donner, se sauve.

 

 

 

Jean RICHEPIN, La chanson des gueux,

Fasquelle, 1876.

 

Recueilli dans Noël en poésie,

présenté par Claude Garda.

Gallimard, 1983.

 

 

 

 

 

 

 

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