Regrets

 

 

Je ne verrai jamais au foyer de famille

Passer de beaux enfants le gracieux essaim,

Et jamais ne viendront ni mon fils, ni ma fille,

Folâtres, caressants, s’endormir sur mon sein.

 

Jamais nul ici-bas ne m’appellera mère,

De ce nom plein d’espoir, de bonheur et d’amour

Que l’homme, enfant, bégaie en voyant la lumière,

Et qui le charme encor jusqu’à son dernier jour.

 

Oui, je m’en irai seule, et triste, et languissante,

Inutile à la terre, à moi-même un fardeau,

Consumant en regrets ma jeunesse impuissante,

Sans voix pour me bénir sur le bord du tombeau.

 

Car mon époux à moi fait un lointain voyage

En des pays déserts, sombres, mystérieux ;

Il ne reviendra pas consoler mon veuvage,

Et de sa tendre main me guider vers les cieux.

 

Sans me dire, il partit, emportant dans son âme

Mes serments et ma foi, tous mes trésors d’amour,

Il s’en alla, joyeux, en oubliant la femme

Qui pour le suivre, hélas ! aurait quitté le jour.

 

Hommes que nous aimons, vous prenez de notre être

Ce que Dieu nous donna de plus saint, de meilleur ;

Égoïstes et forts, vous venez nous soumettre,

Et puis, vous nous laissez en nous brisant le cœur.

 

Mais pourquoi murmurer, puisque ainsi va le monde ?

La vie est une énigme, et la mort un sommeil ;

Nous comprendrons un jour ; dans une foi profonde,

Souffrons sans nous lasser, attendant le réveil.

 

 

 

Catherine RICHE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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