Rêve
(ALLÉGORIE)
DANS l’ombre de la nuit j’ai fait un rêve étrange ;
Devant moi s’étendait un univers serein
Où semblait resplendir le bleu regard d’un ange
À travers le linceul des pleurs du cœur humain.
Les rossignols étaient d’harmonieuses lyres
Qui chantaient dans le tiède et pâle floréal ;
Les fleurs étaient de purs et suaves sourires ;
La lumière versait l’éclat de l’idéal.
Les étoiles étaient des âmes rayonnantes
Et leur mélancolique et clair scintillement
Illuminait l’éther de clartés frissonnantes
En l’immense douceur du saint recueillement.
Et le fantôme blanc de mon âme brûlante
Errant dans le limpide et transparent séjour
Épandait par degrés sur la lueur tremblante
Le souffle virginal des effluves d’amour.
Et la flamme d’azur des célestes étoiles
S’argentait d’un rayon tendre et religieux
Qui semblait contenir sous de féeriques voiles
Le mystère profond de l’Infini des deux...
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Parfois j’ai fait d’ardents et beaux songes de gloire :
Cherchant ma destinée en l’avenir lointain ;
Souvent j’ai vu briller le mirage illusoire
Dans l’auréole d’or du soleil du matin.
Mais ce n’est pas l’éclat des lauriers qui m’attire ;
Je n’ai point envié le sort éblouissant
De ceux dont la sublime et glorieuse lyre
Domine l’univers de son souffle puissant.
Non, cette âpre grandeur me donne le vertige,
J’ai l’esprit accablé de leur nom immortel,
Comme de l’imposant et superbe prodige
De ces sommets altiers qui regardent le ciel.
Mais ma pauvre âme a soif d’union infinie
Et je songe en un calme et bienfaisant émoi
Que des âmes, aux jours de paix ou d’agonie,
Pourront aimer, chanter et pleurer avec moi.
Et que mes espoirs fous et mes brûlantes larmes
Faisant naître en leurs yeux le sourire ou les pleurs,
Elles s’enivreront en de mystiques charmes
Des échos de leurs cris de joie et de douleurs.
Oui, mon rêve qui pleure a besoin de caresse
Et mon cœur débordant aspire à s’épancher ;
De mes blessures coule une immense tendresse
Comme la source en pleurs du sillon d’un rocher.
Oh ! verser l’Infini dans d’impuissantes vies !
Sentir des cœurs émus se pencher sur mon cœur !
Verser comme des lis sur les douleurs ravies
Des sourires d’amour d’ineffable douceur !
Mon rêve le plus pur est d’attendrir les âmes
Qui souffrent des tourments amers des passions
Et de donner aux cœurs immaculés de femmes
Le baiser idéal des consolations !...
Fernand RICHARD.
Paru dans La Sylphide en 1897.