Vézelay

 

 

Lorsque Bernard, debout sur la haute terrasse,

Pâle et le bras tendu vers le soleil levant,

Aux cent mille guerriers accourus sur sa trace

Montrait le crucifix et criait : En avant !

Les peuples, suspendus à sa parole sainte,

Comme un fleuve écumant débordaient de l’enceinte

Et couvraient la montagne, et Bernard leur parlait.

Or, prodige inouï ! mais qu’en latin rapporte

En sa chronique Euphrône, abbé de Vézelay,

La voix du grand ermite enflait de telle sorte

Qu’on croyait dans le ciel entendre Adonaï

À son peuple dicter les lois du Sinaï.

Chaque phrase en son vol enfantait un tonnerre,

Chaque mot en vibrant faisait trembler la terre

Et, divin messager décuplé par le vent,

S’éteignait en grondant dans les bois du Morvan.

Les pèlerins, courbés sous l’aile du prodige,

Sentaient sur eux passer un étrange vertige.

Les nuages criaient : « Dieu le veut ! » Dans les bois

Les chênes et les pins s’entrelaçaient en croix.

« Jérusalem ! » disait la montagne plaintive ;

Éperdus, les buissons pleuraient Sion captive ;

Dans les ravins émus des mains aux doigts de feu

Sur le flanc des rochers écrivaient : « Dieu le veut ! »

Et, traçant dans les airs le glorieux symbole,

Laissaient une croix rouge empreinte à chaque épaule.

 

 

 

RICHARDOT.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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