Livre de la vie monastique

 

 

Voici que l’heure s’incline, et me saisit

de son coup net et métallique.

Tous mes sens frémissent. Je sens, je sais

et saisis le jour dans sa masse.

 

Rien n’était achevé avant que je le voie.

Tout devenir demeurait en suspens.

Mes regards sont mûrs, et comme une fiancée

l’objet qu’ils désirent vient pour chacun d’eux.

 

Rien n’est trop petit pour que je ne l’aime

et je le peins, immense, sur fond d’or,

et je l’exalte sans savoir

qu’alors il libère une âme inconnue.

 

Je vis ma vie, formant des cercles toujours plus grands

qui s’élèvent au-dessus des choses.

Le dernier ne sera peut-être pas terminé

mais je veux l’amorcer.

Je tourne autour de Dieu, la tour immémoriale,

je tourne pendant des millénaires

ne sachant pas encore si je suis un faucon,

un ouragan ou un cantique immense.

 

 

 

Rainer Marie RILKE, Livre d’heures.