Ce monde est tel un jardin

 

 

 

Si par la faute de ce temps où tout n’est que querelles et combats, nous ne pouvons mener la vie à laquelle nous aspirons, n’affligeons pourtant pas notre esprit des amertumes de notre cœur et ne permettons pas à notre âme de se laisser aller à la tristesse. Les vers que voici feront savoir ce que nous proposons.

 

 

 

Ce monde est tel un jardin,

Où pierres pleuvent soudain,

Et qui, de jour en jour, s’étiole.

Où telle la tuile en débris

Et qui, du toit du logis,

Par un grand vent soudain s’envole.

Une maison écroulée,

Logis perdu pour jamais,

Ses biens partis à tour de rôle.

 

Ici, tous les lieux se valent,

Et pleins de dangers fatals,

Le repos n’y existe pas,

Cœurs blessés par le chagrin

Dont la détresse est sans fin

Dans l’amertume d’ici-bas.

Le péril croît à chaque heure,

Les cœurs, les yeux sont en pleurs,

Point d’autre issue que le trépas.

 

En morceaux croule la paix,

Tout ce qui demeure entier

Cède à ce canon qui fait rage,

Et d’innombrables armées

Ne cessent de s’affronter,

Des morts, du sang et du carnage...

Tout le butin des combats,

Tout ce que l’épée gagna,

Entre les soldats se partage.

 

Dans le camp, tantôt le vent,

Tantôt le soleil brûlant,

Font souffrir de froid, de chaleur ;

Faim, soif, issue indécise,

Ont sur l’âme telle emprise

Qu’ils peuvent désoler les cœurs.

La vaillance, cependant,

Bouillonne comme le sang,

Chez ceux-là qu’enflamme l’honneur.

 

Vêtus de belles armures,

Sur de fringantes montures,

Se battent tous les jeunes preux

Pour leur nom et leur renom,

L’honneur, l’estime où ils sont,

Luttant de bon gré et joyeux.

Et les cœurs pleins de courage,

Ici et là ils voyagent

Où leur devoir les tient le mieux.

 

Le preux de la mort fait fi,

De blessures sans souci,

Contre l’ennemi, combattant,

Il manie l’épée sans peur,

Virevolte avec ardeur

Et, vermeil, voit couler son sang.

Tout le butin qu’il emporte,

C’est dans son camp qu’il le porte,

Puis boit et rit joyeusement.

 

À table, les preux vaillants

Se tiennent allègrement

Jouissant des plaisirs du festin.

En se portant des santés,

L’un l’autre se sont souhaité

Bonne fortune, heureux destin.

La belle humeur est parfaite

Au sein de ces nobles fêtes,

Les présents vont de main en main.

 

Le jour se lève en tremblant,

Pour la bataille et le sang,

Et l’heure du combat apporte

Pour beaucoup la mort amère,

Et leur solde dans l’affaire

Ne semble pas somme trop forte.

Bien mieux, ce mortel salaire,

Tel une terre en jachère,

Même grand, vaut peu de la sorte.

 

Voici le temps où l’on voit

Gens de quelque état qu’ils soient

Prendre les armes, guerroyer,

Et cette époque agitée,

Ces tumultueuses années

Des sorts divers leur ont portés.

L’un a chagrin et souci,

L’autre récolte profit,

Et grand bonheur ou grand succès.

 

Or il faut vivre sans cesse

Pondéré, avec sagesse,

Par ces temps aux rumeurs guerrières,

Pour mieux écarter la brume

De nos cœurs pleins d’amertume,

Dont l’instant ne nous garde guère.

C’est bien le meilleur pilote,

Qui sur la vague en révolte

Ne craint l’ouragan ni la mer.

 

Sur cette mer, nous devons

Tendre avec nos avirons

Les vagues de nos existences,

Et cesser de tourmenter

De soucis immérités

Notre pauvre âme en ses souffrances.

Dieu nous comble de ses biens

Pourvu qu’on l’écoute bien

D’un cœur gonflé de confiance.

 

 

 

 

 

János RIMAY.

 

Traduction de László Pődör.

Adaptation d’Anne-Marie de Backer.

 

Recueilli dans Pages choisies de la littérature hongroise,

des origines au milieu du XVIIIe siècle,

Corvina Kiadó, Budapest, 1981.