Nuit pascale
À mon cher Maître et Ami Louis le Cardonnel.
Le Cardonnel, je songe à vous
Dans cette nuit pascale,
Où la lune traîne aux cieux flous
Sa robe monacale.
Celte nuit, dites-vous encor
Tout bas l’hymne lunaire
Où vous avez mis le trésor
D’une sagesse claire ?
Dans la cour du Roure je vois
S’estomper sous la lune
Le figuier mistralien, qui boit
La fraîcheur opportune.
J’entends résonner dans la nuit
Quelque cloche légère
Dont le chant, qui n’est pas un bruit,
Évoque sainte Claire.
Et vous de salon en salon,
Comme aux arceaux d’un cloître,
Vous passez, et je vois, selon
L’instant, croître et décroître
Votre forme que la clarté
De la lune amicale
Met déjà dans l’éternité
Par cette nuit pascale…
Monastère de Saint-Damien,
Où chantaient les Clarisses,
Ce soir vraiment vous êtes mien
Dans ces heures complices,
Tandis qu’au bord du golfe cher
Où je naquis au monde,
Je vois la lune sur la mer
Monter bleuâtre et blonde.
Si François l’appelle sa sœur
Là-bas, au cœur d’Assise,
Elle n’a pas moins de douceur
Sur ces flots qu’elle irise,
Sur Avignon, où vous rêvez
Des Papes, des Évêques,
En disant tout bas des Aves
Dans vos bibliothèques…
Et c’est pourquoi, Le Cardonnel,
Dans cette nuit de Pâques,
Je communie avec le Ciel
Que les choses opaques
Ne réussissent pas, ce soir,
À voiler à ma vue,
Et, pour vous le faire savoir,
Maître, je vous salue
Et nous livre ces vers écrits
Dans cette nuit pascale,
Dans cette nuit où Jésus-Christ,
Sans voile et sans escale,
Venait vers moi, parmi l’azur
De cette mer latine,
Sur un golfe aussi noble et sûr
Qu’un lac de Palestine…
La Ciotat, Pâques de 1934.
Émile RIPERT.
Paru dans le Mercure de France
en novembre 1934.