La maison d’Obermann
Quand nous courbons nos fronts sous la loi du malheur,
Il est quelques mortels, nos frères en douleur,
Qui savent porter haut une pâleur divine,
Et faire resplendir la couronne d’épine
Plus que bandeau royal ou guirlande de fleur,
Tel était Obermann au fond des solitudes,
Oppressé, dans un air d’ardentes plénitudes,
Par deux immensités : le ciel qui lui jetait,
Ses magiques splendeurs, et son coeur qui battait.
Il souffrit pour apprendre à consoler ses frères,
Pour sonder le secret et la fin des misères.
Ainsi que l’eau, troublée au sable du ravin,
S'épure en reposant dans une urne choisie,
Toutes les passions s’épuraient dans son sein ;
Les larmes en sortaient en flots de poésie,
Les souffrance en élans vers le monde divin.
Saint prophète de l’âme, il trouve la parole
Qui lui dit ses destins, l’élève et la console ;
Il traduit les langueurs, les secrets soucieux
D’une nature, hélas ! qui souffre et qui s’ignore,
Ainsi que le roseau de la flûte sonore
Module notre souffle en sons mélodieux.
Comme le faible enfant, courbant sa jeune tête,
Parle au seigneur avec les versets du prophète,
Nous trouvons dans son livre à l’accent solennel
Des mots pour élever nos soupirs vers le ciel.
Mais lui, qui répandit dans notre vin austère
Cet adoucissement de peines, ces bienfaits
Puisés dans le trésor de lumière et de paix,
Oh ! savez-vous quel est son bonheur sur la terre ?
Un peu de gazon vert semé devant ses pas,
Sur sa tête pensive un parfum de lilas,
Au-dessus du tamis, du tamis vert qu’émaille
La fleur du seringa, du muguet, du jasmin,
Un chêne, les rameaux étreints dans la muraille,
Ainsi que le génie au front de l'être humain :
Quelquefois, le matin, le chant de la fauvette,
Fille des bois fleuris, âme des champs d'azur,
Pour un instant, hélas ! égarée en nos murs,
Ainsi que dans le monde une âme de poète...
Un peu d’herbe, de chant et d’horizon vermeil,
Et, dans les jours d’avril, un rayon de soleil...
Oui, mais sur tout cela les immortelles flammes
De ce soleil qui luit sur le monde des âmes ;
Puis les pensers, les voix du monde intérieur,
Qui sont autour du sage, et de saintes musiques
L’accompagnent partout, comme aux fêtes antiques,
Les musiciens sacrés, les théorbes en choeur,
Sur des roses suivaient au temple le vainqueur.
Voilà tout son bonheur dans l’humaine vallée :
Le bruit du monde expire à sa porte isolée ;
Il n’entend rien de lui, pas même dans leur jour
Les accents de louange et les accents d’amour
Qui résonnent autour des oeuvres qu’il nous donne ;
Quand un soupir s’élève et lui parle tout bas,
Quand la fibre du coeur à son souffle résonne,
Quand une larme tombe, il ne l’aperçoit pas ;
Sa palme loin de lui s’élève feuille à feuille,
Et sa moisson d’amour mûrit sans qu’il la cueille.
Mais la vie à venir, ce vaste lendemain,
Tracera d’autres lois dans l’élément humain.
Vous, fils du globe, éclos dans l’argile ignorée,
Et qui croyez toujours vous élever assez
Alors que vous montez à sa couche dorée ;
Vous, nourris d’ambroisie et d’air serein bercés,
Enfants, vous passerez du monde comme passe
Le ruban parfilé que l’air jette à l’espace,
Le perle du collier, dont le globe irisé
Ne laisse que poussière au doigt qui l’a brisé.
Sur votre coupe d’or voyez la mousse blanche,
À votre lèvre à peine elle brille et se penche,
Que s’enfuit en vapeur son limpide réseau ;
Ainsi vous passerez en brillantes fumées,
Enfants du monde, esprit des coupes parfumées,
En touchant à la bouche avide du tombeau.
Liés à la matière, à l'argile mortelle,
Ah ! vous retournerez vous confondre avec elle.
Oui, votre atome ira féconder le roseau
Qui jusqu’au soir se joue avec les lames d’eau,
Le papillon cherchant le lac au doux mirage
Pour regarder son aile en gaze de nuage,
Le sable qui, jetant un éclat argenté,
Se complaît à briller dans sa stérilité.
Mais lui, le sage, ayant sur l’humaine ruine
Incessamment nourri l’étincelle divine,
Il ira par la tombe, ouverte sur le ciel,
Rejoindre les esprits vivants. Et l’Éternel
Fera de lui, voyant la clarté qui l’inonde ;
Un des regards divins qui veillent sur le monde.
Clémence ROBERT.
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