La Sœur de charité

 

 

                                          Salus infirmorum !

                                          Litanies de la Vierge.

 

 

 

                                    I

 

La prairie a des fleurs de diverse nature

Que l’on distingue à peine à travers la verdure,

Mais dont le doux parfum se fait sentir au loin.

Le monde a des vertus dont l’unique témoin

Est celui qui reçoit leur baume salutaire,

Rayons de l’Éternel, descendu sur la terre,

Comme pour lui donner un avant-goût du Ciel.

 

 

                                    II

 

L’abeille est sans éclat... mais elle fait le miel !

Vous ne revêtez point une parure vaine,

Ô vous que la douleur, que la misère humaine

Trouve, en ses désespoirs, debout à son chevet !

Mais de la soulager vous avez le secret ;

Vous savez composer le précieux dictame

Qui sustente le corps et qui parfume l’âme,

Qui de l’humanité descend tous les degrés,

Pour y chercher les maux les plus invétérés.

Le pauvre trouve en vous sa sœur et son amie

Vous réveillez en lui l’espérance endormie ;

Il voit que le Seigneur veille encore sur lui,

Puisqu’il vous a permis de lui servir d’appui.

 

 

                                    III

 

Dans ces obscurs réduits où vont cacher leur onde

Les fluides impurs que le fleuve du monde

Dégage de son cours et jette sur ses bords,

La sœur de charité distille les trésors

De la vertu du Ciel qui ruisselle en son âme :

Le feu le plus éteint se rallume à sa flamme,

Le flot le plus souillé s’épure à son cristal.

Ange du bien, venu dans le séjour du mal !

Vous rayonnez au sein de la cité perdue

Ainsi que l’iris brille au milieu de la nue !

Et, comme ce bel arc, que Dieu met dans les airs

Pour signe de pardon envers notre univers,

Vous semblez être aussi le symbole céleste

Qui luit à l’horizon de l’enceinte funeste

Pour annoncer de Dieu la grâce, le secours,

Pour y faire briller de plus fortunés jours.

 

 

                                    IV

 

Vous qui ne sortez point de ces pieux asiles

Que la religion a fondés loin des villes,

Qui, le jour et la nuit, contemplez l’Éternel,

Et consacrez vos soins à parer son autel,

Votre vie, ô mes sœurs ! est pleine de mystère ;

Vous êtes du jardin cette fleur solitaire

Qui se cache au passant, qui fuit l’œil importun,

Et pour le jardinier réserve son parfum.

Vers vous le Séraphin avec bonheur se penche,

Et dans votre nectar trempe son aile blanche

Pour en porter l’arôme aux pieds du Roi des Cieux.

Votre vie, ô mes sœurs n’a rien d’aventureux :

Par une route unie et comme incorporelle

Vous allez vers le but où Jésus vous appelle...

Vous ne connaissez point les ronces du chemin ;

La Sœur de Charité suit le Maître divin

Dans les sentiers ardus de sa carrière humaine ;

La souffrance, la mort n’ont rien qui la surprenne,

Et c’est en consacrant ses jours aux malheureux

Qu’elle plait à Celui qui s’immola pour eux !

Son front ne porte point le signe du mystère ;

Mais le flambeau du zèle et de l’amour l’éclaire ;

Son âme est un foyer, un astre bienfaisant

Qui sur l’humanité rayonne incessamment.

 

 

                                    V

 

Un lugubre nuage a volé dans l’espace...

Il porte le Trépas, qui sort sa main de glace

Et l’agite au-dessus du monde épouvanté.

Le frisson a saisi les champs et la cité :

Les airs sont imprégnés d’une onde délétère,

On respire la mort ; à chaque instant la terre

S’ouvre pour recevoir ses robustes enfants ;

L’isolement se fait au chevet des mourants ;

La solitude règne autour des chars funèbres ;

La peur dans tous les cœurs a jeté ses ténèbres ;

Des nobles passions elle retient l’élan,

Elle affaiblit les liens de l’amour et du sang...

Mais, quand la rue est vide et la maison déserte,

Nous voyons arriver, avec sa robe verte...

Nous voyons arriver la Sœur de Charité.

Témoignage touchant d’amour et de bonté

Qui marque bien le fond de son âme céleste !

Elle a quitté le noir, de présage funeste,

Afin de revêtir la couleur de l’espoir,

Ann que le malade ait plaisir à la voir.

 

 

                                    VI

 

Dans son zèle, que rien n’arrête ou n’effarouche,

Elle vient soulever les perclus sur leur couche,

Elle vient ranimer leurs membres engourdis ;

Elle inspecte leur lit, en efface les plis,

Puis, d’une main habile autant que délicate,

Elle panse la plaie, y verse l’aromate,

Prépare le breuvage et la dose, selon

La force du malade et sa complexion.

Son amour-propre est prêt à tous les sacrifices ;

Elle sait exercer les plus humbles offices

Sans jamais exprimer ni crainte ni dégoût :

Pour ses frères enfin qu’elle soigne, elle est tout ;

L’un revient à la vie au souffle de cet ange ;

L’autre, que le trépas appelle en sa phalange,

S’endort en murmurant la louange et l’amour ;

Et, lorsqu’il se réveille au céleste séjour,

Il croit voir, en chacun des esprits de lumière,

La Sœur de charité qu’il laissa sur la terre.

 

 

                                    VII

 

Parfois – du cœur humain point de vue odieux ! –

Les bienfaits redoublés, les soins affectueux,

Chez des êtres pervers, dont rougit la nature,

Ne savant qu’exciter la haine et le murmure :

On a vu le malade, en son lit de douleur,

De celle qui le sert se faire l’insulteur ;

N’importe : elle accomplit sa mission sacrée ;

Le mal n’arrive point en sa sphère éthérée !

Ce n’est que pour le bien que son âme descend

Dans le milieu d’un monde infirme et vacillant !

Ce n’est que pour l’aider à porter sa misère :

Cet esprit égaré n’en est pas moins un frère !

Et puis, à dire vrai, la bonne et tendre sœur

N’attend point ici-bas le prix de son labeur :

Quand par l’épidémie elle-même est atteinte,

Elle souffre, elle meurt sans regret et sans plainte :

Victime résignée, elle a prévu le coup :

Une autre la remplace, et le Seigneur voit tout !

 

 

                                    VIII

 

Avez-vous entendu, sur le champ de bataille,

Gronder l’obus sinistre et siffler la mitraille ?

Un éclair a jailli du bronze frémissant...

Le projectile en sort, et voilà qu’à l’instant

Les hommes, foudroyés par ce nouveau tonnerre,

Tombent par rangs entiers et vont joncher ta terre,

Les plus rudes guerriers, à ces scènes d’horreur,

Sentent blêmir leur front, et palpiter leur cœur.

L’honneur et le devoir, qui parlent dans leur âme,

Les font seuls avancer. Mais une jeune femme

S’en va, d’un pas rapide et d’un esprit serein,

Aux endroits où la mort fait le plus de chemin,

Disputer les blessés à ses serres fatales.

Malgré les feux du glaive et le souffle des balles,

Elle met sur la plaie un premier appareil

Et de l’homme de l’art va chercher le conseil.

Pour accomplir son œuvre elle se multiplie ;

Et, quand le mal s’arrête, et que renaît la vie,

Elle fait au malade un rempart de son corps,

Et, soutenant ses pas, le conduit au dehors

Du cercle périlleux. Là d’autres soins l’attendent,

Et, de nouveau courant où des maux la demandent

La Sœur va, de nouveau, dans le champ du combat

Recueillir et sauver ceux que le fer abat.

 

Oh ! combien des enfants de notre belle France

Aux Sœurs de charité doivent leur existence !

Combien, sans leurs constants et rapides secours,

En Afrique, en Crimée auraient fini leurs jours !

Nous les vîmes, de même, aux plaines d’Italie,

En prodiguant leurs soins aux fils de la patrie,

Étonner l’Étranger par leur bonté de cœur,

Autant que nos soldats le font par leur valeur.

 

 

                                    IX

 

Souvent, en parcourant nos Alpes reculées,

Parmi des rocs ardus, des côtes dénudées,

Dont l’aspect vous attriste et vous serre le cœur,

On trouve, – et tous les sens en sont dans le bonheur –,

Des enclos arrosés d’une eau féconde et pure,

Où l’on voit, sur un sol de fleurs et de verdure,

Tomber les fruits mûris des arbres nourriciers ;

Ainsi, lorsque du monde explorant les sentiers,

On se heurte à tous pas aux passions, aux vices,

On se tourne avec joie, on monte avec délices,

Vers ces êtres de choix, aux suaves attraits,

En qui vivent toujours l’innocence et la paix ;

Élite du troupeau, dont les mœurs angéliques

Sont comme le ressort des vertus héroïques,

Parfum que Dieu répand sur le monde vieilli,

Afin de soutenir le moral affaibli,

Et l’aider à chasser cette vapeur malsaine

Qui s’attache aux longs jours de la nature humaine.

 

 

 

Célestin ROCHE, 1859.

 

Paru dans Athénée de Forcalquier et Félibrige des Alpes,

séance du 9 novembre 1890.