Je veux que ce poème…
Je veux que ce poème soit pareil à la neige,
pareil aux nuages blancs de mars et d’avril,
pareil aux robes des communiantes en prière,
pareil à l’intérieur nu et froid d’une chapelle,
et aux murs échaulés d’une façon primitive.
Je le veux comme la lune pleine et sans nuages,
et comme un beau visage baigné dans sa lumière.
Je le veux comme un linge lavé dans la fontaine,
ou dans un fleuve obscur dont il jaillit plus clair,
comme une rose blanche que dégage le feuillage
ou la lune plus belle et nue que la nuit lave.
Et je le veux ainsi, car la pure blancheur,
pâle et passionnée, contient toutes les couleurs,
comme toute la passion sous un visage pâle,
comme toute la musique sous un beau clavier calme.
Je l’ai lavé souvent dans le fleuve des nuits,
je l’ai souvent tordu comme font les laveuses,
et rincé au soleil comme dans une belle eau claire.
Qu’il soit riche de lumière et clair comme le ciel,
que sans nul ornement et sans nulle dentelle
il se déplie en toi comme une nappe d’autel
où tu pourras poser ton amour comme un cierge !
Robert ROCHEFORT,
Gravures religieuses.
Paru dans le Mercure de France
en août 1934.