Cloches
I.
Le dimanche, attristé de cloches, remémore
Les bonheurs espérés ct qu’on n’aura pas eus,
Les bonheurs dont, enfant on parlait à Jésus
Dans l’église aux vitraux roses comme une aurore !
Car les cloches, avec leurs puériles voix,
Et leur cheminement qui trébuche, si frêle,
– On dirait par moment d’une âme qui se fêle ! –
Sont les rêves et les désirs de l’autrefois,
Tant d’espoirs qu’on avait, tant de jeunes pensées,
Trop tendres pour la vie et qui n’ont pas grandi,
Cloches, dès leur jeunesse, à la mort fiancées
Et qu’on revoit dans cette fin d’après-midi
Et qui s’en vont dans cette fin d’un long dimanche
Finir parmi la Lune ouvrant sa tombe blanche.
II.
Certains matins pascals, quand le ciel est d’azur,
– Ô cet azur d’avril qui n’est pas encor sûr ! –
Les cloches font songer à des Communiantes
Dans des robes de mousseline anémiantes,
Dont la blancheur bouffante alanguirait le pas ;
Cloches de pureté qui s’éloignent, là-bas,
Infantes de Jésus qui lui sont fiancées,
Cloches en des ampleurs de jupes balancées,
Dont on suit dans le vent le rythmique départ
Au-delà de la vie, à travers le brouillard
Qui se déroule en beaux linges de Sainte Table...
Et voici qu’on croirait dans l’aube délectable
Dont la mysticité s’apparie à la leur,
Les voix s’agglomérer en robes de pâleur,
Ô cloches cheminant, si douces et câlines
Qu’elles semblent vraiment faites de mousselines !
Georges RODENBACH.
Paru dans La Flandre littéraire, artistique et mondaine en 1897.