L’idéal
J’AI gravi les sommets des monts au front de glace,
Je me suis ri de l’aigle au vol audacieux ;
Sous mes pieds, le chaos ; sur ma tête, les cieux.
Autour de moi, partout, ce n’était que l’espace,
Et quand du dernier pic j’eus achevé l’assaut,
J’interrogeai mon cœur, et mon cœur dit :
« Plus haut ! »
Au matin, j’ai de l’aube admiré la merveille ;
Une lueur blanchâtre emplissait l’Orient
Et préludait aux feux de l’astre flamboyant.
Les cimes s’empourpraient d’une teinte vermeille.
Et quand le ciel, enfin, déchira son bandeau,
J’interrogeai mon cœur, et mon cœur dit :
« Plus beau ! »
J’ai contemplé, debout sur le sable des grèves,
L’immensité des flots, les horizons lointains,
Dont la brume estompait les contours incertains.
Quand sur ces infinis j’eus égaré mes rêves,
Ravi par ces aspects d’un sublime enivrant,
J’interrogeai mon cœur, et mon cœur dit :
« Plus grand ! »
De l’azur étoilé la coupole est immense ;
J’ai sondé dans la nuit la profondeur des cieux.
À compter des soleils j’ai fatigué mes yeux.
Des astres n’ayant pu mesurer la distance,
Muet, et l’œil fixé sur ces plages sans fond,
J’interrogeai mon cœur, et mon cœur dit :
« Plus profond ! »
Où donc est-il, mon cœur, l’idéal de la vie ?
Que puis-je encor livrer à tes désirs ardents
Pour les savoir, enfin, assouvis et contents ?
Et mon cœur répondit : « Pour combler mon envie,
En vain mille clartés éclatent en tout lieu,
Tout n’est qu’ombre et néant, et moi j’aspire à Dieu ! »
Fr. ROLAND,
des Missions étrangères.
Paru dans le revue Le Noël du 3 février 1916.