Les derniers vers

 

 

Quoy, mon âme, dors-tu, engourdie en ta muse ?

La trompette a sonné, serre bagage, et va

Le chemin déserté que Jésus-Christ trouva,

Quand, tout mouillé de sang, racheta nostre race.

 

C’est un chemin fascheux, borné de peu d’espace,

Tracé de peu de gens, que la rance pava,

Où le charbon poignant ses testes esleva ;

Pren courage pourtant, et ne quitte la place.

 

N’appose point la main à la mansine, après

Pour ficher ta charrue au milieu des guerets,

Retournant coup sur coup en arrière ta veue.

 

Il ne faut commencer ou du tout s’employer ;

Il ne faut point mener, puis laisser la charrue :

Qui laisse son metier n’est digne de loyer.

 

 

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Il faut laisser maisons et vergers et jardins,

Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine,

Et chanter son obsèque en la façon du cygne

Qui chante son trépas sur les bords Méandrins.

 

C’est fait ! j’ai devidé le cours de mes destins,

J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne ;

Ma plume vole au ciel, pour être quelque signe,

Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

 

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne

En rien comme il était, plus heureux qui sejourne,

D’homme fait nouvel ange, auprès de Jésus-Christ,

 

Laissant pourrir ça-bas sa dépouille de boue,

Dont le sort, la Fortune et le Destin se joue,

Franc des liens du corps, pour n’être qu’un esprit.

 

 

 

Pierre de RONSARD.

 

Publié pour la première fois à Paris (Buon, 1586, in-4e de 14 pages),

avec une préface de Claude Binet.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.