Le génie
L’exotique aloès, mystérieuse plante,
Traîne dans nos jardins une jeunesse lente.
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L’arbre subit vingt ans cet odieux affront ;
Tout à coup, à minuit, il redresse son front ;
Et d’un choc imprévu, pulvérisant le verre,
Il grandit de vingt pieds dans un coup de tonnerre.
BARTHÉLEMY.
Toute grande pensée enfante un grand martyr,
Et le sort du génie est de beaucoup souffrir !
Chacun s’arme et lui livre une éternelle guerre,
L’ignorant, l’envieux et le riche vulgaire.
Pour faire avorter l’homme, ils torturent l’enfant ;
Mais l’enfant, plein de foi, s’isole, ou se défend.
Oh ! qui sait ce que souffre, entouré de mystère,
L’homme prédestiné que Dieu jette à la terre ;
L’homme qui sonde, à part, l’océan des esprits ;
Qui, s’isolant de tous, de tous est incompris ;
Qui, sans dire à quel but son étoile chemine,
Pressent un avenir que la gloire illumine ;
Et qui grandit à l’ombre, en secret et sans bruit,
Comme l’arbre au désert croît et porte son fruit !
Oh ! celui-là toujours, le monde le renie :
Mais, qu’importe ? la foi, c’est l’arche du génie !
Le génie a ses lois, ses moyens, ses secrets ;
Il suit le mouvement d’un infini progrès ;
Orbe mystérieux, qui toujours se dilate,
Il attend qu’une voix d’en haut lui dise : éclate !
Alors, ceux qui si tôt avaient désespéré ;
Qui riaient, en disant : cet homme est égaré ;
Qui, le croyant pétri dans un vulgaire moule,
S’étonnaient qu’il rêvât, dédaigneux de la foule ;
Tous, inclinant leurs fronts sous ses regards de feu,
Diront, en le nommant : « le Génie est un dieu ! »
Et le dieu passera dans la foule étonnée,
Calme et silencieux, jouant sa destinée ;
Son drame nécessaire et providentiel ;
Son prophétique rôle, inspiré par le ciel.
1837.
Adrien ROUQUETTE.
Recueilli dans Anthologie de la poésie louisianaise,
textes choisis et présentés par les étudiants de français
de Centenary College of Louisiana,
sous la direction de D.A. Kress et Rebecca Skelton,
Éditions Tintamarre, 2010.