En entrant en Suisse
À M. LE Dr CH. RENAULT.
VOICI l’écusson rouge orné d’une croix blanche ;
Salut, Suisse, pays de noble liberté !
Ton histoire est sublime autant que ta beauté.
Sur elle avec amour le poète se penche,
Comme au pied de tes monts sur un lac enchanté.
Salut, sommets neigeux, vieilles tours isolées,
Cascades, bois profonds que dore le matin,
Humbles chalets vêtus d’écaillés de sapin,
Assis dans les prés verts au penchant des vallées
Où tintent des troupeaux les clochettes d’airain.
Sur ces monts ont vécu les héros légendaires,
Ce jeune Tigurin, chef à l’âme de feu,
Qui vainquit les Romains au bord du Léman bleu ;
Saint Gall, qui défrichait la lande avec ses frères,
Apprivoisant les ours en leur parlant de Dieu ;
La bonne reine Berthe allant dans la campagne
Chercher les mendiants sur un blanc destrier,
En filant sa quenouille ou lisant son psautier ;
Pierre le Savoyard, le petit Charlemagne ;
Berthold de Zoeringhen, le rude chevalier.
Ces tours auprès des lacs et ces châteaux gothiques
Rappellent les méfaits des baillis allemands,
Les héros du Grutli, fidèles aux serments,
Et Tell qu’on veut chasser des fastes historiques,
Mais qui vivra toujours en dépit des savants.
Dans les villes voilà, sculptés sur les fontaines,
Ces vaillants avoyers, landammans des cantons,
Dont la trompe d’Uri guidait les bataillons,
Quand au loin paraissaient les bannières hautaines
Des princes autrichiens ou des ducs bourguignons.
Terre de liberté, Suisse heureuse et tranquille,
Que Dieu garde tes monts du pas des conquérants,
Et qu’il tienne éloignés toujours de tes enfants
Les glaives de discorde et la haine civile,
Qui changent les drapeaux en étendards sanglants.
Joseph ROUSSE, Chants d’un Celte, 1886.