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Le divin anéantissement


La mer qui berce, chante et endort,
L’Église qui écoute, pardonne et absout.
La mer berçante qui porte la barque et ramène le pêcheur,
La mer qui chante et rend la terre au marin,
La mer qui endort l’exilé et dilate le coeur
En mal de plongeurs la mer ne se lasse jamais de bercer.
En mal d’âme l’Église ne se lasse jamais de prêcher.

Une prière excite une autre prière,
Une lame épaule une autre lame
Et l’écume qui sur la plage
T’apprend la saveur de la mer
À mis des années à t’en préparer le sel.

Entre dans la mer et laisse-toi couper les jambes.
Dans la vague qui porte on n’a que faire des chevilles.
Coupe les amarres des attaches charnelles.
L’Église te prend dans ses bras
Et le corps ne peut appartenir à deux étreintes.

Le coquillage à ton oreille a porté toute la mer.
Le prédicateur t’a conté l’Évangile.
Mais quel infime secret, dans un seul coquillage
L’immense mer a-t-elle pu emprisonner ?
Qu’est à l’homme la douceur du plus poignant Évangile
En regard de tout l’amour de son Auteur même, en lui ?

Confonds-toi à la mer: elle se confondra à toi.
Ses trésors, un à un, jour après jour,
D’un coquillage, d’une vague, d’une marée à l’autre,
D’une grâce à l’autre tous elle te les confiera dès ici-bas.
Donne-toi ; fais confiance à l’eau.

L’Église n’est point une doctrine, c’est une tendresse.
La mer n’est point un abîme, c’est un refuge.
Combien léger ton coeur dans la poitrine de l’Église,
Combien libre le poids de ton corps dans l’eau,
Dans l’eau salée de la mer qui porte,
Qui soulève, assainit, dégage et assouplit.

Romps les amarres, jette-toi à Dieu.
Ne supporte plus le soleil qu’à travers l’eau,
La tentation qu’à travers la grâce ;
Ne remets plus au sablier du temps le sable,
Bois au sable noyé l’éternité.

Dans la résille d’or que la crête multiple des vagues,
À marée basse, forme sur ce sable,
Tend pour toi au fond de la mer,
Laisse-toi prendre, c’est le filet du Divin Pêcheur,
Le filet des troisièmes conversions.

Seul l’oeil t’y peut croire prisonnière,
C’est là que tu conquiers la vraie liberté,
L’exaltante liberté, dans la lumière, des Enfants de Dieu.
Abandonne-toi à la mer,
Laisse-la te sculpter à son image,
Te polir de son éternelle patience.

Laisse la grâce t’envelopper, te pénétrer de toutes parts
Et tu oublieras les contours de ton corps,
Tu trouveras enfin ceux de ton âme,
Infinie à la mesure de la mer, infinie à la mesure de Dieu.

Pour oublier la ville, ne va pas au village,
Pour oublier le village, égare ici tes sandales
Et pour renoncer aux sandales, laisse-toi scier les chevilles.
Laisse-moi, dit la mer, t’enlever à la terre,
Laisse-moi t’apprendre le véritable abandon et la joie,
Laisse-moi t’apprendre l’extase infinie, mon Divin anéantissement.



Simone ROUTIER.





 

 

 

 

 

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