Le mois de Marie

 

 

                                        À Mme Ve MALOZON D’ORLIÉNAS.

 

 

                                        I

 

Le mois de mai !... Voyez ! comme en un jour de fête,

Pour le monarque absent, un beau palais qu’apprête,

          La nature, temple paré,

Semble attendre que Dieu, de la cour éternelle,

Descende, environné de gloire, au milieu d’elle

          Sur l’autel qu’elle a préparé !

 

Oui, la nature est belle ainsi qu’un sanctuaire ;

Tout est splendeur aux cieux, tout sourit sur la terre,

          Tout fête le plus beau des mois :

Le tapis verdoyant qui, comme un flot, s’élance

De la plaine au sommet des monts, et se balance

          Au front rajeuni des vieux bois.

 

Le riche émail des fleurs courant sur la prairie

En guirlande, en bouquet, comme une broderie

          Sur les pans d’un manteau de roi ;

Parant les rochers nus que la neige abandonne,

Comme sur un front chauve une verte couronne

          Se suspendant à leur paroi.

 

Et ce tiède réseau dont le jour nous enlace,

Ces nuits tièdes encor, ces parfums dans l’espace

          Qui viennent enivrer nos sens ;

Cet éclat de l’aurore et du soir, le nuage

Qui de la terre aux cieux s’élève, flotte et nage

          Comme une atmosphère d’encens ;

 

Et cet immense accord des voix de la nature

Qui chantent dans les airs, aux bois, sous la verdure ;

          Le sein plus sonore des mers ;

Les flots plus murmurants qui courent dans la plaine ;

Les mille chœurs d’oiseaux ; les vents, dont chaque haleine

          Semble réveiller des concerts.

 

Oui, tout chante, tout vit, se pare, se colore ;

Et la terre sourit, et chaque jour l’aurore

          Se lève plus belle à nos yeux,

Comme pour embellir encore la couronne,

Par la main du Seigneur posée, et qui rayonne

          Sur le front de Marie aux cieux.

 

 

                                        II

 

          Car c’est la fête de leur mère,

          Pour la famille des mortels ;

          Cet encens qu’exhale la terre,

          Vierge, il monte de tes autels.

          Les hommes, en voyant ta gloire,

          Consacrèrent à ta mémoire

          Les jours de ce mois enchanté ;

          Oui, pour te fêter, la nature

          Semble t’emprunter sa parure,

          En réfléchissant ta beauté !

 

          Et quand, comme un torrent, la vie

          Circule et déborde en tout lieu,

          Ils vont, dans leur sublime envie,

          S’enivrer aux sources de Dieu ;

          Et s’armant, dans le sanctuaire,

          De la verge de la prière,

          Font jaillir du flanc du rocher

          Ces ondes saintes et ces flammes

          Seule nourriture des âmes,

          Dont la soif n’a pu s’étancher.

 

          C’est à toi, dont la main puissante

          Dispense les saintes faveurs,

          Que monte leur prière ardente

          Mêlée au parfum pur des fleurs.

          Au trône de ta bienfaisance,

          Par un nœud de reconnaissance,

          Dieu veut enchaîner les humains ;

          Car, sans toi, Mère bien-aimée !

          Sa grâce est une urne fermée :

          On n’y puise que par tes mains.

 

          Et mille concerts de louanges

          S’élevant des cœurs attendris,

          Vont se joindre aux concerts des anges

          Qui chantent la mère et le fils.

          L’humble chapelle de campagne,

          La madone sur la montagne,

          Phare lointain des matelots,

          Voient tout une foule en prière

          Qui, les deux genoux sur la pierre,

          Te bénit et roule à longs flots.

 

          Comme Balthazar en ses fêtes

          Surprises dans leurs voluptés,

          Et jetant les fleurs de leurs têtes,

          Soudain s’arrêtent les cités.

          Partout la joie et les chants cessent....

          – Mais bientôt les concerts renaissent,

          L’allégresse anime les pas,

          Et ce sont des fêtes nouvelles !...

          Mais cette fois de leurs six ailes

          Les anges ne se voilent pas.

 

          Car c’est ton nom, archet sublime,

          Qui fait vibrer les instruments ;

          C’est l’hymne saint qui se ranime

          Sur la harpe aux accords dormants.

          Vierge, c’est la grandeur fidèle

          Qui vient suspendre à ta chapelle

          Et ses couronnes et ses fleurs ;

          C’est la ville aux riches offrandes

          Qui joint ses pompeuses guirlandes

          À l’humble don du laboureur.

 

          Mais combien d’hymnes solitaires

          Que l’on n’entend point ici-bas !

          Combien de pleurs et de prières

          Que les hommes ne comptent pas !

          Toi, Vierge, tu descends dans l’ombre ;

          Tu viens dans la chapelle sombre

          T’asseoir près d’un fils isolé ;

          Ton oreille écoute en silence

          Et les soupirs de l’indigence,

          Et les chants d’un cœur consolé !

 

          L’univers ainsi, Vierge sainte,

          Pour toi s’éveille chaque jour ;

          Et toi, de la céleste enceinte

          Tu te penches avec amour.

          L’œil croit voir ton ombre qui passe,

          Partout il découvre ta trace,

          Car la nature est ton miroir !

          Puis il lui semble voir encore

          Ton doux sourire qui colore

          Les portiques dorés du soir !...

 

 

                                        III

 

          Et moi, quand chante la nature,

Je n’aurai pas un hymne en mon âme vibrant ?

          – « Mais ta voix serait le murmure

          De l’insecte près du torrent ? » –

Non, non, tout monte à Dieu ; non, l’amour sur son aile

Prend la voix de reniant et s’envole avec elle :

          Et ce n’est pas à ces vives couleurs

Qu’on prise le bouquet qu’un fils offre à sa mère,

Et ton regard, Marie, au mur du sanctuaire,

Sourit au simple lis comme aux plus riches fleurs.

 

 

                                        IV

 

          Gloire à roi ! – Ce sublime hommage

          De l’univers a monté d’âge en âge.

          Dès qu’à sa nuit fut promis le grand jour,

Vers la céleste aurore il soupira d’avance :

Mais maintenant à l’hymne d’espérance

          A succédé le chant d’amour.

 

Amour à toi, beau lis au milieu des épines,

          Fleur qui brille sur les ruines,

Rose qui sort du tronc desséché d’Israël ;

Toi que rêve Jacob, mystérieuse échelle,

Par qui la terre voit descendre Dieu vers elle,

          Et l’homme remonter au ciel.

 

Amour à toi ! – Du Dieu qui te nomma sa mère,

          Tu partageas la vie amère :

Tes pas eurent aussi leur calvaire à monter ;

Et chaque jour ton cœur, innocente victime,

          Faisait l’holocauste sublime

De ta vie aux forfaits qu’il venait racheter.

 

Et quand vint l’heure, au ciel, dans le même calice,

          Tu présentas le sang du sacrifice

          Et les larmes de tes douleurs !

Et ton âme disait : « C’est trop pour une mère ;

Mais si pourtant, mon Dieu ! tu veux l’offrande entière,

Je puis donner aussi mon sang après mes pleurs. »

 

          Assez !... Le vase est bu jusqu’à la lie,

          Passe au banquet où le ciel te convie,

Et de Gethsémani, Vierge, monte au Thabor.

          Déjà voici venir des anges,

          Qui, t’escortant de leurs phalanges,

Vont t’emporter aux cieux sur un nuage d’or !...

 

          Et, dès ce jour, une étoile inconnue

          De ses rayons perça la nue,

Comme un nouveau soleil levé sur l’univers ;

          Et le pilote errant dans la tempête,

          Vit étinceler sur sa tête

Un astre sillonnant sa route sur les mers.

 

Et tes enfants, jamais n’épuisent ta clémence ;

Et ton amour, c’est une table immense,

Festin toujours servi, banquet toujours nouveau ;

C’est l’Océan où toute soif s’abreuve ;

          Pour l’homme, c’est l’onde du fleuve,

          Pour l’enfant, c’est la goutte d’eau.

 

Vierge, on dit qu’en nos temps une source nouvelle,

          Sur vous s’est ouverte et ruisselle !...

Ce peuple qui se lève et sort de son sommeil,

Et las enfin de tant de tristes météores,

          De tant d’infécondes aurores,

          S’agite et cherche le soleil.

 

Ces sages, reniant leurs stériles sagesses,

Prêtant l’oreille enfin aux célestes promesses,

          Rapportant à Dieu leur encens,

Et voulant qu’il s’incarne en vos lois de la terre....

On dit que c’est ton œuvre, et que c’est une mère

          Qui prend pitié de ses enfants.

 

          Ô Vierge ! achève ton ouvrage,

Commande en souveraine aux enfants de notre âge ;

Ramène tous les cœurs aux pieds de l’Éternel ;

Mais ton appui, surtout la France le réclame :

Souviens-toi qu’un monarque a mis son oriflamme

          Sous la garde de ton autel !

 

 

                                                                                 Paris.

 

 

Jn-Bte ROZIER.

 

Paru dans Les voix poétiques en 1868.

 

 

 

 

 

 

 

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