L’attente des horreurs

 

 

Ah ! je suis un lambeau déchiré, je suis las,

Je suis pâle, petit, indolent, comme vide ;

Mon cœur est endormi et sous mon front livide

Rien ne vit ! Je suis faible, inerte affaissé là !

Je languis, sans grandeur, je suis commun et fade,

Oui, mais j’attends – sans voix, mon cœur étant sans feux.

J’attends l’effarement du rêve que je veux

Et l’énervement noir des chimères malades !

J’attends ! Je suis sans voix et j’attends le sombreur

Qui rend, dressés au ciel, les arbres fantastiques,

Ou la nuit exaltée où le cœur est mystique

Et s’extasie au pied des croix rouges d’horreur !

J’attends la fièvre immense où mon cerveau veut vivre

Et le feu rougissant où mon cœur veut brûler,

Où des voix inconnues semblent en nous hurler

Comme des hurlements de loups parmi le givre !

J’attends le frisson froid des affreuses terreurs,

J’attends les visions lugubres qui se chassent,

Éperdument, pendant que les éclairs bleus cassent

Dans les nuages froids aux plus blêmes lueurs !

J’attends l’heure glacée. Ah ! l’heure échevelée,

Macabre, où les forêts jettent des cris d’horreur

Qui montent dans le nu de cieux mâts sans pâleur,

Faits de fauves nuages aux sanglantes coulées

De lave en fusion ! L’heure ivre, je l’attends,

Où mon âme ressent des affres noires qu’aucune

Qu’aucune autre ne sent parmi les nuits sans lune,

L’heure où mon cœur entend ce que pas un n’entend !

J’attends la vision, la fièvre, la folie,

L’heure où mon regard fou fixe la nuit, hagard,

Fasciné par l’éclat de la foudre, blafard,

Qui fend le ciel peuplé d’horreur !

                                                  J’attends ma vie !

 

 

 

Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Œuvres,

édition critique établie par Jacques Brault et Benoît Lacroix,

Presses de l’Université de Montréal, 1971.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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