Joie et tristesse

 

 

Hélas ! non, il n’est point ici-bas de mortelle

Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ;

Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi,

Il me prend des accès de soupirs et de larmes ;

Et plus autour de moi la vie épand ses charmes,

Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert,

Plus le ciel bleu, l’air pur, le pré de fleurs couvert,

Plus mon époux aimant comme au premier bel âge,

Plus mes enfants joyeux et courant sous l’ombrage,

Plus la brise légère et n’osant soupirer,

Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer.

 

– C’est que, même au-delà des bonheurs qu’on envie,

Il reste à désirer dans la plus belle vie ;

C’est qu’ailleurs et plus loin notre but est marqué ;

Qu’à le chercher plus bas on l’a toujours manqué ;

C’est qu’ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe,

Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ;

C’est qu’après bien des jours, bien des ans révolus,

Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ;

Que ces enfants, objets de si chères tendresses,

En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ;

Que toute joie est sombre à qui veut la sonder,

Et qu’aux plus clairs endroits, et pour trop regarder

Le lac d’argent, paisible, au cours insaisissable,

On découvre sous l’eau de la boue et du sable.

 

Mais comme au lac profond et sur son limon noir

Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir,

Et, déroulant d’en haut la splendeur de ses voiles,

Pour décorer l’abîme y sème les étoiles,

Tel dans ce fond obscur de notre humble destin

Se révèle l’espoir de l’éternel matin.

Et quand sous l’œil de Dieu l’on s’est mis de bonne heure,

Quand on s’est fait une âme où la vertu demeure,

Quand, morts entre nos bras, les parents révérés

Tout bas nous ont bénis avec des mots sacrés ;

Quand nos enfants, nourris d’une douceur austère,

Continueront le bien après nous sur la terre ;

Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas ;

Alors, on peut encore être heureux ici-bas ;

Aux instants de tristesse on peut, d’un œil plus ferme,

Envisager la vie, et ses biens, et leur terme ;

Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur,

Soutient l’âme, et console au milieu du bonheur.

 

 

 

SAINTE-BEUVE.

 

Recueilli dans

Recueil gradué de poésies françaises,

par Frédéric Caumont, 1847.

 

 

 

 

 

 

 

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