Ô poésie enfin trouvée...
Ô poésie enfin trouvée ! Ô bon dégoût qui vous déchire
Au fond, jusqu’au bout, dans la chair
Et qui vous éperonne l’âme qui rebondit
Enfin et se retrouve assise auprès de Dieu
Car dans toutes les plaies ouvertes et qui saignent
À travers la déchirure qu’elles font
Luit la lumière où toute vie change de face
Où toute la laideur qui faisait mal s’efface
Si qu’il ne reste enfin que la douleur qui fait du bien.
Ô poésie ! tu m’apparais dans mon amour
Elle, le voile donc un ange en ma pensée
Car je suis dépouillé de toutes mes laideurs,
La faiblesse où je fus dans la fange et le sang,
Le mal autour et surtout le mal en moi se sont évanouis
Et par la déchirure transparaît la lumière
Métamorphosant tout. Et je vois clair enfin.
Ô poésie ! c’est toi, Joie et Beauté, enfin !
De sorte qu’elle est ange, elle, la bien-aimée
Qui fut un jour aussi une femme de chair
Pour moi. Mais elle est ange, et ma rédemption
Celle-là dont la chair avait été complice
Avec ma chair à moi, dans ces jours aveuglés
Mais voici qu’elle est ange enfin dans la lumière
Et redevenus fiers, nous levons vers les cieux
Qui nous accueilleront, des regards pleins d’azur.
Elle qui fut mon lourd lien à ses péchés
Maintenant que le ciel est ouvert à nos pas
Sera comme une étoile intacte à mon ciel pur
Ah ! Tu me guideras, cher cœur que je possède
De la bonne façon, vers la beauté suprême
Tu seras mon refuge au loin de la tempête
Qui gronde sans arrêt au bord de ma faiblesse
Tu seras cet amour et cette piété
Dans lesquels, te voyant en Dieu et Dieu en toi,
Je veux aller toujours vers la bonne Beauté.
Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Œuvres,
édition critique établie par Jacques Brault et Benoît Lacroix,
Presses de l’Université de Montréal, 1971.