Oraison d’un ami pour sa mie malade
Dieu qui voulus le très-haut ciel laisser
Et ta hautesse en la terre abaisser,
Là où santé donnas à maints et maintes,
Veuilles ouïr, de toutes mes complaintes,
Une sans plus ; veuilles donner santé
À celle-là par qui suis tourmenté.
Ta sainte voix en l’Évangile crie
Que tout vivant pour son ennemi prie :
Guéris donc celle, ô médecin parfait,
Qui m’est contraire et malade me fait !
Hélas ! Seigneur, il semble, tant est belle,
Que plaisir pris à la composer telle.
Ne souffre pas à venir cet outrage !
Son embonpoint commence à se passer ;
Jà ce beau teint commence à s’effacer,
Et ces beaux yeux clairs et resplendissants,
Qui m’ont navré, deviennent languissants.
Il est bien vrai que cette grand’beauté
A desservi, pour sa grand’cruauté,
Punition ; mais, Sire, à l’avenir
Elle pourra plus douce devenir.
Pardonne-lui, et fais que maladie
N’ait point l’honneur de la rendre enlaidie
Assez à temps viendra vieillesse pâle,
Qui de ce faire a charge principale.
Et cependant, si tu la maintiens saine.
Ceux qui verront sa beauté souveraine
Béniront toi et ta fille Nature
D’avoir formé si belle créature.
Et de ma part ferai un beau cantique,
Qui chantera le miracle authentique
Que fait auras admirable à chacun
D’en guérir deux en n’en guérissant qu’un ;
Non que pour moi je lève au ciel la face,
Non que pour moi prière je te fasse,
Car je te dois supplier pour son bien,
Et je la dois requérir pour le mien.
Mellin de SAINT-GELAIS.
Recueilli dans Les poètes religieux,
anthologie du XIIIe siècle à nos jours
(choix, préface et notes de Léon Larmand).