La Sainte Vierge m’a souri
La Sainte Vierge m’a souri
Le soir j’y pense en m’endormant
Et cela m’est très cher à penser
À vrai dire je n’y comprends pas grand-chose
Cela me dépasse comme on dit
Mais c’est comme cela
Je me demande si cela se peut
Je suis très surpris très étonné
Mais pourtant c’est comme cela
Je n’arrive pas à trouver le coin de mon cœur où cela m’a touché
Je n’ai plus l’amour de ma mère écarté dans un coin
Depuis le temps que je ne me souviens plus
Où j’étais tendre comme pas un et plein de prévenances
Et plein du besoin d’être consolé
La Sainte Vierge je l’ai priée comme une étrangère
Comme rien du tout comme quand on parle tout seul tout haut
Pour qu’on soit entendu dans la chambre à côté
Qu’on sache qu’on n’est pas endormi qu’on voudrait des choses
Qu’on s’ennuie
Pourtant je suis sûr que la Sainte Vierge m’a souri
Et cela m’est très cher à penser
Cela m’est très cher à penser
Cependant que j’ai une grande peur
Et je n’y pense que du coin de l’œil
Et quand je vois que cela est tout de même
Que le sourire reste et continue
Je ne regarde plus du tout
Je m’occupe à autre chose
Il me suffit de savoir qu’il est là
Cela me suffit de savoir qu’il est là
Et j’ai une grande peur que le silence s’établisse entre nous
Le silence entre le sourire de la Sainte Vierge et moi
Alors je m’occupe vivement à autre chose
J’arrange des choses dans la chambre
Je m’occupe je regarde ailleurs je parle
Je lui parle sans la regarder
Je souris tout seul
Assis dans l’ombre et assis dans la lumière
De trois quarts sans regarder pour qu’elle puisse voir
Qu’elle sache que j’ai bien conscience de son sourire
Et que j’y réponds
Que je l’accepte, que j’en ai de la joie
Qu’il va me devenir nécessaire
Que je ne pourrai plus m’en passer
Mais j’ai grand-peur que le silence s’établisse entre nous
Alors je m’occupe à autre chose
En songeant que la Sainte Vierge m’a souri
Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Œuvres,
édition critique établie par Jacques Brault et Benoît Lacroix,
Presses de l’Université de Montréal, 1971.