Je voudrais aimer tout...

 

 

Je voudrais aimer tout dans un élan sans bornes

Je voudrais tout aimer et je voudrais créer

Réaliser enfin les rêves qu’ici, morne

Je rêve et que mon cœur tout haut voudrait crier

 

Les rêves que j’ai là et que les mots déforment

Les rêves que toujours je ne puis que rêver

Tous mes rêves croulant dans un abîme énorme

Et qui pourtant toujours veulent se relever

 

Mes rêves qui sont moi, qui sont toute mon âme

Qui sont grands, qui sont fiers, éternels, infinis

Qui sont gonflés d’orgueil, brûlants de flammes,

Lointains comme des pics taillés dans le granit

 

Je me sens un géant, mon cœur est vaste comme

Celui de Dieu et je voudrais créer, créer

Des mondes, du ciel bleu, des êtres, des atomes

Des monts, des océans, des mers aux flots dorés

 

Je voudrais, je voudrais ! Que suis-je donc ? Un homme !

Mes désirs sont d’un Dieu. Que suis-je donc ? Un homme!

Je me sens un géant. Ah ! Je me sens immense

Et je voudrais aimer autant qu’aimerait Dieu

Je voudrais jeter là mon corps et ses démences

Dans un égout, mon corps de fange

Pour qu’il soit dévoré par les loups odieux

Je voudrais m’élancer au loin parmi les espaces

Parmi le bleu, parmi l’azur, parmi les cieux

Libre comme le vent qui vient et qui repasse

Effréné comme lui, le cœur... insoucieux

 

 

 

Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Œuvres,

édition critique établie par Jacques Brault et Benoît Lacroix,

Presses de l’Université de Montréal, 1971.