Au Canigou

 

 

Canigou, roi des montagnes, beau géant dressé sur nos campagnes, comme le Roussillon est fier de toi !

 

En hiver tu te revêts de neige des pieds à la tête, et si le temps est clair et serein, tu ressembles de loin, pour nos yeux, à un immense fantôme blanc. Et quand revient le printemps, de ton sein éclosent des fleurs qui te font, en été, une robe légère et peinte de mille couleurs. Et de tes ravines naissent des eaux pures comme le cristal, qui, entraînées par la pente, courent, en bondissant, se répandre dans la vallée.

 

Celui qui veut atteindre ta roche la plus élevée, trouve le voyage fatigant. Plus d’une fois en chemin le courage lui manque ; mais quand il est arrivé, adieu plaintes et douleurs ! Quel magnifique tableau ! Son admiration est si grande que son œil ne s’en fatigue jamais : étendues devant lui, il a l’Espagne et la France, de Barcelone à Montpellier ; au fond, la mer toute bleue, et qui s’unit au ciel, semble un long ruban qui borde notre admirable Roussillon. Partout, épars çà et là, de blancs villages, des vignes, des près, des jardins verdoyants, des bois inclinés par le vent sur les sommets, et, se tordant comme des couleuvres d’argent sous l’ardent soleil qui éclate au-dessus de la plaine, des rivières, de gros ruisseaux qui fuient en toute hâte.

 

Mais il n’en est pas ainsi tous les jours ; il arrive que le tableau change, et quand le pauvre touriste est monté sur la plus haute cime, plus d’une fois, au lieu du beau paysage qui enchante la vue, il trouve un orage prêt à éclater. Il voit à ses pieds des nuages qui s’entrechoquent, et se traînent en roulant sur les roches rugueuses, tandis qu’un sourd grondement se fait entendre ; et puis, tout à coup, ces nuages crèvent, des averses tombent, des éclairs éblouissants brillent, et le tonnerre gronde effroyablement.

 

Et l’homme qui se trouve au sein de tout ce furieux désordre, debout sur la roche solitaire, avec le ciel bleu au-dessus de sa tête, un orage aux pieds, ressemble à ce chef du peuple hébreu allant sur le Sinaï chercher la loi divine.

 

Canigou, montagne chérie de tout bon fils du Roussillon, quand il demeure quelque temps éloigné, il ne cesse un instant de penser à toi. Et lorsqu’il s’en retourne vers le pays qui le vit naître, lorsqu’il aperçoit tes roches élevées, et qu’il voit resplendir au loin ton blanc manteau de neige, avec quel bonheur il te contemple ! Son cœur se gonfle de joie, comme il arrive à celui qui retrouve enfin un de ses bons amis regretté depuis longtemps.

 

Nul n’ignore qu’en d’autres contrées il est des montagnes d’un plus grand renom ; mais de toutes, beau Canigou, celle que j’admire le plus c’est encore toi !

 

 

Albert SAISSET.

 

Traduit du catalan par Jean Amade.

 

Recueilli dans Anthologie catalane (1re série : Les poètes roussillonnais),

avec Introduction, Bibliographie, Traduction française et Notes

par Jean Amade, agrégé de l’Université, professeur au Lycée

de Montpellier, 1908.

 

 

 

 

 

 

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