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Grands nuages ardents...



Que de portraits de toi j’ai vus dans les nuages !
DESBORDES-VALMORE.

 

 

                                I


Grands nuages ardents qui tremblez sur le ciel,
Parlez-moi de son coeur qui frissonne et qui change ;
De son esprit divin, de son orgueil cruel,
Frères des éperviers et frères des archanges.

Comme aux Césars jadis les signes conjugués,
Cieux remplis de prodiges, annoncez-moi sa gloire !
Que les astres en choeur désertent la nuit noire
Avant que soit son nom dans l’oubli relégué.

Navires de velours, berceaux pleins de mollesse
Où les foudres enfants dorment avec douceur,
De la bonté qu’il eut pour sa petite soeur,
Faites-moi souvenir – et souvenir sans cesse.

– Mais, nuages, seigneurs du fief de l’infini,
Non, ne me parlez pas de son âme exilée,
Car je n’ai qu’à baisser les yeux vers les vallées...
Je sais bien que la terre est étroite pour lui.




                                II


Je ne suis près de vous qu’un disciple ébloui...
Dans ce lisse jardin, les roses routinières
De l’Amour n’ont fleuri. Dévotion plénière,
Froide et parfaite en moi comme un lis de minuit,

Vous êtes cependant la divine armature,
Le tuteur sans lequel ma vie eût chancelé.
Comme il vous doit, mon coeur de pauvre et d’exilé !
Lorsque vous sonnerez, échéances futures,

Quelle dette au destin, le tenace usurier !
Vous me coûterez cher, mes fragiles délices ;
Qu’il me faudra vider encore de calices,
Pour voir l’hydre repue et ce bonheur payé !

– Qu’importe ? Fleurissez, ô touffe d’azalées ;
Je ne désire point de buisson plus ardent.
Les plus chaudes amours se sont étiolées,
Les fruits les plus charnels, le ver était dedans.

Ne soyons pas ce coeur qui tremble et qui recule :
Allons, sans plus songer. Respirons gravement
La fleur des lendemains, fermée au crépuscule.
Demeurez, ma douceur ; brûlez, mon diamant.




                                III


Je retrouve partout vos doigts et vos prunelles,
Je retrouve partout la trace de vos pas,
Pas un instant qui n’ait une douceur nouvelle
Où je vous trouve encore et ne vous cherchais pas.

Quand je guéris mon coeur avec un peu de songe,
Vous êtes au travers du songe profilé ;
Je ne relève pas mon visage accablé
Sans que vos chérés mains l’aient soutenu dans l’ombre.

Ma vie en vous repose, abandon courageux,
Ô mains de mon ami, fraîches cariatides,
Pourtant je ne suis pas une amante languide,
Mais cet elfe dansant qui se mêle à vos jeux,

Où donc me trouverai-je, où donc me connaîtrai-je,
Puissant Pygmalion dont je suis la statue,
Quand j’attends, de vous seul, molle comme une neige,
Le souffle qui m’anime ou l’oubli qui me tue ?

Pourquoi parler d’amour ? pourquoi parler d’amour ?
Comme le sang pourpre bouge et bat dans l’artère,
Comme en l’arbre est la sève et la nuit dans le jour,
Le noyau dans le fruit et Dieu dans le mystère,

Vous demeurez en moi, fécond, vivifiant,
Vous m’emplissez de chants, d’appels et de murmures,
J’abrite vos oiseaux, je suis votre ramure,
De moi-même exilée où vous êtes absent.




Jeanne SANDELION.


Paru dans Les Amitiés en 1932.



 

 

 

 

 

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