L’extase
Le matin quand l’aube naissante
Rougit les coteaux embaumés ;
Quand dans la plaine jaunissante
S’éveillent des chants animés ;
Quand bruissent toutes les mousses,
Quand l’air commence à se roser,
Quand l’onde a des brises plus douces,
Le rayon un plus long baiser ;
J’aime, seule, dans la campagne,
À contempler les champs en fleurs,
À voir le front de la montagne
Briller des plus vives couleurs.
J’aime à voir le lys qui se penche
Pour parer les bords du ruisseau,
Le vent qui balance la branche,
Berçant le nid avec l’oiseau.
Car la nature intelligente
Ne répand pas en vain ses dons.
C’est pour l’abeille diligente
Que s’entrouvrent les frais boutons,
C’est pour éclairer la nuit sombre
Que sautille le ver luisant ;
Et la violette croît à l’ombre,
Pour embaumer l’air bienfaisant.
L’oiseau fait son nid de la paille
Qui tombe de l’épi de blé ;
Le lierre soutient la muraille
Du vieux presbytère écroulé ;
Le ruisseau caresse la rive
Que fécondent ses flots si purs ;
Et la pluie en grondant ravive
L’arbre penché sous ses fruits mûrs.
La nature met son sourire,
Sa grâce pudique en tout lieu.
Sa voix ineffable soupire,
Et l’on sent le souffle de Dieu.
Oui, pour le penseur solitaire,
Tout est extase, enivrement ;
Tout est harmonie et mystère,
Amour, sublime enseignement !
Car devant toutes ces merveilles
L’œil étonné reste ébloui,
Et l’on croît que les fleurs vermeilles,
Les vents, les ondes, disent : Lui !
Lui toujours ! suprême prière,
Qu’à la nuit enseigne le jour ;
Et que dit la nature entière
Dans un hymne éternel d’amour.
Mlle de SASSERNO.
Recueilli dans Femmes-poètes de la France,
anthologie par H. Blanvalet, 1856.