Cocktail de novembre

 

 

Thoughts of a dry brain

in a dry season.

T. S. Eliot

 

 

IL faut, m’a dit l’âme, en novembre,

rentrer en ton temps intérieur.

Oh ! entends que le vent lourd de l’automne

fait les arbres cliqueter comme des os,

et tourner – dans quelle ronde macabre !

les feuilles et les jours,

la jeunesse et la gloire...

 

Or, ayant erré, sans but, pensif,

à la venvole,

et dans un noble parc,

parmi les restes de toutes choses,

sous ce vent de dépouilles

dont l’âme aime parler en novembre,

hier, m’est venu le souvenir...

 

Mais pourquoi tourner

ainsi, follement, autour de moi,

masques, images,

pêle-mêle, parmi les feuilles mortes,

dans le vent ricaneur de novembre ?

 

Et je les ai revus tels

qu’à couvert du « ridicule » automne,

j’imagine qu’ils sont là,

clubistes de l’ennui,

et très exclusivement toujours

les pareils avec les mêmes :

Monsieur Héron Pique-Assiette,

le brave Commandant Coquelicot,

Master Sparkling qui ne manque

jamais d’arroser de son crachin

le buste de dame Ronde-Bosse,

Mistress Pumpkin,

sur le chapeau de laquelle couve en vain

depuis longtemps un bel oiseau de paradis...

et d’autres, d’autres...

Mistress Hasbeen, l’inconsolable

Daughter of Empire...

 

Et donc, ils se recongratulent,

et « talking of trivial things »,

ils rabâchent leurs fiers mots de caste,

mots que la pitié n’a guère réchauffés,

non plus que rajeunis la grâce du matin.

 

Et, cependant qu’aux verres

tinte et retinte le glas de glace

de l’incurable ennui,

dehors, rôde

l’heure inquiète, aux pelouses flétries ;

et le bel épagneul que le party irrite

joue comme un simple enfant

avec un long rayon du soir

qui bouge entre ses pattes.

 

Oh ! j’entends qu’au bord de la coupe du ciel

où flotte comme une cerise

un extrême soleil,

un doux merle angoissé plaintivement garrule :

Io ! Io !

Ioa ! Ioa ! Ioa !

Io !

 

Io ! à toi, Johnnie Walker

qui regagnes, rouli-roulant,

ton home...

Io ! à tous et à chacun

et bonsoir ! aux replets et repus !

 

Mais, écoutez

que, du fond de la ville,

d’en bas,

des noirs quartiers de l’inconsolable plèbe,

monte une juste plainte ;

une plainte avec épines

monte et s’accroche

aux pieds des assouvis...

 

 

C’est maintenant l’heure obscure où les maigres morts

qui n’ont plus à eux que les nuits de novembre

reviennent,

(ceux, du moins, qui, jamais, ne furent d’aucune fête)

oui, reviennent, en ricanant, lire

les riches stèles penchantes ou tombées...

 

Io ! pour Job ou le vent

qui racle les pustules de la vieille terre.

Io ! pour le fêtard

qui retient, à peine, à deux mains,

ses jointures et ses os.

 

Las !

Mais non loin du carrefour

où grincent les enseignes rauques

de l’alcool et des vivres,

tout juste à l’entrée

du mystérieux et fatal Boulevard

qui s’ouvre à l’Ouest,

Io ! Io ! Ioa !

mon frère rassasié,

le reconnaîtras-tu, quand il fait brun déjà,

dis, le reconnaîtras-tu

celui-là qui erre,

nu, glacé,

affamé, assoiffé,

incognito,

le très pauvre et très doux et triste

Jésus-Christ ?

 

 

 

 

Félix-Antoine SAVARD, Le bouscueil,

Fides, 1972.

 

 

 

 

 

 

 

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